Phnom Penh, comme toutes les autres capitales asiatiques que nous avons visité, possède un caractère frénétique qui prend par les tripes dès qu’on descend du bus. La ville est moins haute que Hanoï et Bangkok pourtant, et moins grande que Beijing, Tokyo ou Séoul – moins développée aussi. Dans cette petite capitale d’un petit royaume, pas de métro, mais des tuk-tuk par centaines, dirigés par autant de chauffeurs souriants et agréables. Des centaines de tuk-tuk donc, et des milliers de scooters et motos.
Et des voitures, banales parfois, de luxe souvent… Car la capitale cambodgienne est paradoxale : les chauffeurs mégotent pour un dollar, pour doubler ensuite des véhicules qui valent des dizaines de milliers de fois leur course durement négociée. Les taudis font face aux ambassades les plus prestigieuses, les mendiants dorment paisiblement sur les trottoirs devant les hôtels de luxe, à quelques centimètres parfois de leurs compatriotes buvant un verre en jouant sur leurs tablettes numériques. Les habitants sont heureux dans une ville qui reflète les horreurs commises par les Khmeres Rouges, il y a moins de trente trois ans.
Avant de continuer, faisons un petit rappel historique – très simplifié. Retournons au début des années 70 : la guerre froide et celle du Vietnam font rage dans le pays voisin, et le roi, Norodom Shianouk, neutre, parti en déplacement à l’étranger, se fait renverser par son pilier militaire, Lon Nol, qui lui penche pour l’aide Américaine. Les « Khmers Rouges », forces communistes soutenues par la Chine, ne l’entendent pas de cette manière et lancent une guérilla conte le pouvoir en place, qu’ils manquent de gagner une première fois en 1973, mais ils seront repoussés par les Américains, ce qui ne sera pas le cas en 1975, l’armée de l’oncle Sam s’étant progressivement retirée de la région. Les Khmeres Rouges, dirigés par Pol Pot, prennent le pouvoir. Pendant quatre ans, le dictateur mènera une politique féroce pour se maintenir au pouvoir, faisant torturer et assassiner toutes les élites du pays, repérées par leurs maitrises de langues étrangères… ou le port de lunettes, vidant les villes les unes après les autres pour forcer les citoyens à aller travailler au champ, fermant l’ensemble des écoles, en en transformant même une en « prison de très haute sécurité » pour maintenir les éléments qu’ils jugent les plus dangereux, et ce même pour les membres de leur propre parti, détruisant systématiquement les temples bouddhistes et les bâtiments « pernicieux », transformant la capitale en ville fantôme…
Jusqu’à la fin de l’année 1978, où les troupes vietnamiennes envahirent le pays pour éviter la contagion du chaos à leur propre nation. Le sept janvier 1979, le régime des Khmeres Rouges s’effondre pour laisser place à une gouvernance proche des intérêts des nouveaux envahisseurs, mais les Khmeres Rouges restants et des royalistes appuyés par la Thaïlande continuent leur lutte sous la forme d’une terrible guérilla, disséminant des milliers de mines anti-personnelles dans tout le territoire. Les troupes Vietnamiennes partiront en 1989 après dix ans de luttes, laissant derrière elles un pays économiquement en ruine, divisé, souffrant de sous-nutrition et d’épidémies diverses… On aurait tort de penser que ces évènements font partie d’un passé révolu : les procès des dirigeants Khmeres n’ont commencés qu’au début du XXIème siècle, mais surtout une grande partie de la population a été témoin, voire actrice de toutes ces atrocités : tous ceux qui ont aujourd’hui trente trois ans ou plus sont nés durant le régime de Pol Pot, et les plus âgés s’en souviennent… Un autre chiffre montre les stigmates de cette époque : en 2007, plus de la moitié des Cambodgiens avaient moins de dix-huit ans…
D’autres marqueurs se manifestent, parfois par leur présence, mais le plus souvent par leur absence : les temples réduits à néant, les lieux de torture encore existants. Dans la capitale se trouve encore la « prison de haute-sécurité 21″ de Tuol Sleng, connue sous le diminutif de « prison S-21″ (ou S-21, tout le monde là bas connait).
A l’origine, les locaux forment le lycée Chao Ponhea Yat, du nom d’un royal ancêtre de Shianouk, puis, en Aout 1975, ils sont transformés en prison, le S-21 donc. La ville est déjà vidée, et les travaux se font donc discrètement: l’enceinte extérieure est couverte de deux rangées de barbelés, et ces derniers sont électrifiés.
Des vitres et volets sont ajoutés aux fenêtres pour étouffer les cris des torturés, des barbelés devant tous les étages pour empêcher les évasions… mais surtout les suicides des plus désespérés. Les locaux sont réorganisés en salles de tortures et cellules, qui variaient considérablement en taille en fonction de l’importance supposée du prisonnier : si certaines salles conservent leur volume initial pour quelques lits, d’autres sont divisées en dizaines de petites cellules de quatre vingt centimètres de large, en briques ou en bois.
D’autres salles enfin tenaient plus de l’entrepôt à humains que de la cellule : jusqu’à une trentaine de prisonniers étaient attachés au sol par les chevilles, allongés en rang. Des conditions inhumaines qui sont poussées à leurs limites: une douche collective à l’eau froide une fois par semaine, des séances de tortures aux horaires aléatoires, deux repas par jour « dont on pouvait compter les grains de riz sur une seule main ». Aujourd’hui transformé en musée, le S-21 a conservé son aspect d’alors, et il faut avoir l’esprit solide en visitant l’endroit : même aseptisé, les lieux restent impressionnants, avec les salles remplies d’un où deux lits seulement, ou des cellules si étroites et peu larges qu’on ne pourrait s’y allonger, le tout dans un silence glaçant…
De très nombreux témoignages du passé sont présents, avec des photos des milliers de prisonniers – et de leurs familles, enfants compris, arrêtées avec eux et exécutés aussi, photos prises lors de leurs entrées, les témoignages des dix-sept survivants du S-21(sur près de vingt mille prisonniers passés entre ses murs), les expositions des instruments de tortures accompagnés par les explications, et des photos des lieux, cadavres à l’image, lorsque les Vietnamiens ont découvert l’horreur du site.
On vous épargnera une visite plus approfondie, Élodie en restera traumatisée, ce qui se comprend, et nous ne visiterons pas le charnier associé, à quelques kilomètres du centre de la capitale, dont on nous a vanté l’horreur, tant sur les pratiques d’exécution (frapper à mort pour économiser les balles, enterrer vivant, ball trap avec les bébés)… Un cauchemar encore visible avec les ossements qui dépassent du sol du charnier…
C’en est trop pour nous d’ailleurs, et nous déciderons de prendre une retraite le temps d’un weekend à l’Imprévu, un petit complexe hôtelier tenu par un Français, à quelques kilomètres du centre (mais toujours à Phnom Penh), pour nous la couler douce (façon de parler) et piquer une tête dans l’immense piscine des lieux, avant d’aller nous reposer dans notre bungalow privé!
Heureusement que Phnom Penh n’est pas constituée uniquement de ces lieux de torture!
On a aussi des rues bien vivantes aux commerces par milliers, et des marchés où se mélangent vie quotidienne des habitants et shopping des touristes d’un jour : le marché central en est un bon exemple : reconstruit il y a quelques années grâce à l’aide européenne, le dôme renferme de nombreux articles, du plus utile au plus gadget, avec toujours la possibilité de négocier, un sport plus plaisant ici qu’au Vietnam, où les vendeurs sont vraiment acharnés. D’autres marchés d’envergures moindres parsèment les rues de la ville, offrant des spectacles sympathiques, sauf olfactivement, la faute à certains fruits particulièrement odorants, ainsi qu’à une gestion parfois approximative de la chaine de froid (ou plutôt : « quelle chaine de froid? »).
Le front de rivière, bien qu’un peu plus luxueux touristique, est très agréable, au moment du coucher de soleil (qui s’en va dans la direction opposée, mais les couleurs n’en sont pas moins magnifiques), et offre un aperçu parfait au palais royal du Cambodge et à la Pagode d’Argent qui le côtoie.
Si nous n’aurons pas le plaisir de découvrir le palais, habituellement ouvert aux étrangers de passage, c’est parce qu’actuellement y réside la dépouille du dernier « Dieu-roi » du Cambodge, feu son altesse Norodom Shianouk, décédé à la mi-octobre (le même qui régnait dans les années 50). Ses obsèques auront lieu en février prochain, et les festivités prévues lors de notre passage ont été annulées.
Allons donc visiter ce qu’il nous reste, la Pagode d’Argent… Très beau temple situé à proximité du palais, il porte son nom à cause des quelques cinq mille dalles d’argent qui recouvrent le sol de la pièce, malheureusement impossible à prendre en photo – de toute façon, une grande partie du précieux matériau est recouvert d’un tapis pour être protégé de nos vilains petons sales – et oui, c’est un temple donc on se doit d’enlever ses chaussures.
A l’intérieur, ce sont des dizaines de petites figurines du Bouddha, et d’autres beaucoup plus grosses, jusqu’à taille réelle, souvent parées de pierreries superbes. A l’extérieur, c’est une multitude de plus petits temples, stuppas (pierres tombales souvent monumentales) et couloirs aux fresques représentant des épisodes connus… enfin pour les bouddhistes. Que dire de plus? C’est superbe, et on peut apercevoir les toits jaunes-orangés aux formes si particulières du palais juste à côté.
Entre le palais et notre auberge, nous retournons sur la rive du Tonlé Sap, pour l’unique plaisir d’être sollicité tous les trois pas par un « Tuk-tuk sir? » (entre autres), et si j’avais le malheur de ne pas répondre (ce qui était assez rare), une autre question beaucoup plus importante naissait : « Tuk tuk madame? », au cas où la lady soit plus fatiguée…
Après environ cinquante « No, thank you! », nous arrivons devant le repère des « moines-maffieux » (rassurez-vous, je plaisante, vous comprendrez dans un instant) : le Wat Ounlaom, le temple où réside (il me semble) l’autorité monastique nationale.
Pas grand chose à dire, si ce n’est que les locaux sont bien entretenus et assez vaste, tout comme le Wat Phnom, un monastère situé en haut d’une colline.
Les moines, eux, sont présents un peu partout, que ce soit dans les monastères ou à l’extérieur : chaque jour, on peut les voir se déplacer, faire leurs achats… et « racketter » (humour!) les habitants : tous les matins, au moment où nous prenions le petit déjeuner, un moine venait à la porte de la maison d’à côté, frappait, attendait de recevoir un don avant de se mettre à chanter et prier. Mais aussitôt parti, un ou plusieurs autres se succédaient, poussant les habitants à donner à chacun!
Bon, on exagère un peu, mais même si les sommes sont petites, le budget mensuel dédié aux prières et dons doit être colossal au regard du salaire moyen des habitants (moins de 80 US$ par mois)… Toutefois, on peut quand même comprendre la démarche monastique : comme expliqué un peu plus tôt, les Khmeres Rouges ont voulu détruire éducation et religion, et pour ce faire ont rasé une grande partie des temples cambodgiens (à l’exception du Wat Ounlaom), qu’il leur faut maintenant rebâtir, une tâche qui s’annonce ardue, mais qui part visiblement sur des bons rails, vu le nombre de temples qu’on a déjà croisé!
Un soir, avant de partir, nous nous décidons aussi à accomplir un défi que la maman d’Élodie nous à lancé : déguster une délicieuse tarentule rôtie. Direction donc le restaurant le plus réputé de la ville (tant qu’à déguster ces ignobles bestioles, autant le faire dans un cadre agréable) et cuisinées par des professionnels ; une fois assis à table, et après une longue attente stressante (enfin surtout parce que le serveur, un jeune en formation dans ce restaurant qui aide les enfants des rues en leur proposant un apprentissage du métier de serveur, avait oublier de les commander!) nous voici devant les bêbettes : je m’y lance le premier, Élodie… mais ça vous le découvrirez bientôt! Sachez, si ça vous intéresse, que le restaurant (Romdeng) est excellent, enfin même si…
Phnom Penh, nous aura offert un séjour très agréable, entre ses habitants sympathiques au sourires illimités, ses lieux d’histoire passée et présente, son bouillonnement quotidien qui donne envie de se promener dans les quartiers si différents les uns des autres, d’en découvrir plus sur les coutumes et habitudes de ses habitants : Élodie en profitera d’ailleurs pour prendre des cours de cuisine.
Ses chauffeurs de tuk-tuk même s’ils sont parfois pénibles sont aussi souvent très drôles, avec beaucoup d’humour, acceptant de se moquer d’eux-mêmes mais surtout en ayant des attitudes de grands enfants (quand ils ne conduisent pas, bien entendu) et s’entraidant pour trouver les adresses au plus vite. La ville nous aura aussi surpris avec son caractère changeant, d’une rue toute traditionnelle on passe dans un centre commercial flambant neuf. Flambant neuf… pas comme l’objet de notre prochaine destination!
Bravo !!! défit relevé !… mais ça ne me met pas pour autant l’eau à la bouche , je préférais la buche au chocolat … ceci dit , la tarentule est un mets tres apprécié au Cambodge , il fallait pouvoir la déguster, et vous l’avez fait , encore une fois ,Bravo !
Rien ne dit que je sois arrivée à manger cette énoooorme tarentule toute poilue (oui, c’est poilue cette bébète et en plus ça a de grosses mandibules… beurk).
Ce met est peut-être très apprécié du Cambodge, Fabien ne renouvellera pas l’expérience.
En plus, y’a rien à manger !
Et ça n’a pas le goût de poulet comme les habitants ont l’air de dire, comme s’ils voulaient vous rassurer… avant de se moquer de vous en voyant votre tête à la découverte de votre assiette.
[…] dit aussitôt fait. Mais ne croyiez pas que nous sommes allés dans la rue comme sur la dernière photo de l’article précédent. En fait, une jeune française s’étant installée au Cambodge a lancé l’unique […]
[…] successifs, l’ensevelissement sous une végétation dense et le minage du terrain par les Khmères Rouges feront tomber une très grande partie des temples dans l’oubli le plus total, parfois […]