La voiture treize est silencieuse. Le train glisse sur les rails à toute allure et provoque un léger bruit continu, une sorte de sifflement accompagné d’un roulement de tambour comme si l’on annonçait l’arrivée de la cavalerie. Quelques bourrasques secouent par moment le véhicule. Le paysage défile. Mes yeux se posent furtivement à droite puis à gauche ; des bâtiments, des HLM, des tours de contrôles, des autoroutes et puis brusquement, des champs à perte de vue. Je ne pensais pas que la région d’Île de France était aussi verte. Mince, c’est beau la campagne française. Des immenses champs rectangulaires à l’infini, alternant des couleurs chatoyantes, vert clair, marron, rouge, jaune, vert foncé, doré. Je ris intérieurement en imaginant la réaction d’un birman si on lui donnait ne serait-ce qu’un seul de ces champs. Je crois qu’il paniquerait totalement et compterais le nombre incalculable de bœufs nécessaires à l’entretien de tant de surface. Évidemment, il ne sait sans doute pas qu’en France, tout est motorisé.
Et je suis là, peut-être la seule de ce train, à m’émerveiller face à un tel paysage. Chacun vaque à ses occupations tandis qu’une envie irrésistible m’a prise de tout suspendre afin de regarder ce tableau champêtre coloré et parfaitement aligné. J’arrive même à sentir l’odeur de l’herbe légèrement mouillée. Impossible vous allez me dire ! Quoi que, avec toute cette pluie récente qui est tombée…
Le temps est ici comme suspendu. J’adore voyager en train… mais aujourd’hui, je ressens malgré tout comme une énorme boule au fond de ma gorge, un malaise général qui provoque en moi des sueurs froides. Je me sens très mal. Aujourd’hui, je suis seule dans ce train… Fabien est resté sur le quai de la gare.
C’est comme un déchirement, une douleur profonde, une corde que l’on coupe sauvagement parce qu’un point B doit brusquement laisser un point A. Le point B, c’est moi.
Nous sommes rentrés en France tous les deux depuis trois mois. La chute a été particulièrement difficile. Je ne saurais expliquer pourquoi ; pourtant nous nous y étions préparé à l’avance ? Mais j’imagine que contrairement à d’autres voyageurs au long cours qui rentrent chez eux, nous n’avions pas eu cette sensation au terme de nos douze mois que notre voyage approchait d’une fin, ou qu’il était accompli. Nous avions au fond de nous, plus forte que jamais, une flamme qui brûlait, cette soif d’aventure. On continue ? En Inde, nous avions redémarré de plus bel et notre rythme était trouvé. En vérité, et nous n’en n’avons jamais réellement parlé, nous avions eu un vrai rêve, qui nous avait traversé l’esprit, ce dernier soir assis sur la plage à Mumbai à regarder le coucher de soleil parmi toutes ces familles indiennes réunies autour de nous sur le sable : tenter notre chance en Inde et rester pour travailler. La suite vous la connaissez, Londres, Porthsmouth, Caen ; l’idée nous avait seulement frôlé l’esprit pendant quelques secondes et pas plus. Nous étions simplement en train de rêver à construire de nouveaux projets. L’Inde est un incroyable pays pour ça ; puiser les forces cachées en chacun de nous… Quel bonheur de finir par lui !
Ainsi trois mois ont passé depuis ce jour où nous avions rêvé de rater notre dernier avion « tour du monde », une aventure qui, quelle que soit la tournure suivante, était vraisemblablement finie. Faut passer à la suite maintenant ! La suite pour moi était toute trouvée en mars dernier. J’éprouvais un réel bonheur à revoir ma famille laissée pendant un an, pleurer jusqu’à ce que les larmes ne viennent plus et chérir ma filleule qui m’avait tant manqué. Un mois pour profiter d’eux, Mars 2013. Deux mois, trois mois et nous voilà en Juin 2013. Curieusement nous avons eu beaucoup de temps pour nous depuis notre retour mais nous éprouvons la sensation de toujours en manquer pour nous reconstruire. Il faut de longues heures pour y voir plus clair ; je sais que cela peut vous paraître étrange mais ces quinze semaines furent trop courtes après douze mois d’aventures sur les routes du monde. Ce voyage a laissé des traces et il fallait que l’on apprenne à vivre avec. De mars à juin, de retour en France, nous avons donc laissé de côté notre blog pour mieux avancer et construire nos projets. Veuillez nous en excuser…
Aujourd’hui, assise dans ce train, je fais, moi, le grand saut, trois mois plus tard, Juin 2013. J’ai des projets plein la tête mais je dois quitter Fabien pour quelques jours, et cela nous est inconcevable. Je dirais même : vraiment insupportable.
Pendant un an nous avons avancé ensemble, sept jours sur sept, vingt-quatre heure sur vingt-quatre. Pour certains d’entre vous, cela peut paraître être une aventure folle, un projet qui conduirait n’importe quel couple vers une catastrophe. Vous croyez ?
On dit souvent que les voyages permettent de se rencontrer soi. Dans notre cas, j’irais plus loin : Fabien et moi, nous nous sommes rencontrés une seconde fois. Un an ensemble c’est long. Il y a toujours des difficultés voir même des impasses à affronter pour deux amants obligés de vivre serrés l’un contre l’autre sans pouvoir se détacher. Une personne de notre famille, avant notre départ, avait en rigolant suggéré l’idée d’inscrire sur notre site en page d’accueil le baromètre de notre couple (pour mieux relâcher la pression). Nous aurions dû peut-être le faire ? C’était une bonne idée. Car il est normal de se déchirer de temps en temps dans ces conditions, le contraire m’étonnerait même. Nous sommes obligés de vivre les humeurs de sa moitié en permanence et, les quelques défauts qui étaient restés cachés jusque là ne peuvent plus être dissimulés, jamais.
Nous avons toujours avancé, Fabien et moi, main dans la main et avec sourire durant notre tour du monde. Mais il vrai que de rares fois, nous avons été confrontés à ce fameux mur, ce court laps de temps où rien ne va plus. (Je m’étonne qu’aucun site de globetrotters n’évoquent ces situations difficiles… pourquoi parler toujours de ce qui va pour le mieux ?) Je me revois appuyée sur cette rembarre du marché de Hanoï au second étage… A l’époque je vivais plutôt mal l’aventure pour des raisons de santé (rien de grave, rassurez vous !). Fabien avait été là… pour m’engueuler ! Je lui en ait longuement voulu. Aujourd’hui, je le remercie (… enfin, pas sur tout !) car grâce à lui, j’ai pu rebondir.
Un voyage d’un an en couple c’est surtout, en définitive, une redécouverte et beaucoup de patience. Les deux personnes apprennent progressivement à s’accepter telle qu’elles sont et à s’entraider. Un lien indéfinissable se créé et aujourd’hui, nous ne pouvons plus désormais avancer l’un sans l’autre. Nous avons besoin de sentir la respiration de l’autre le soir en nous endormant. Non pas que chacun est incapable de construire son propre monde ni de concrétiser ses propres ambitions, seul, loin de là ! Mais l’idée de vivre sans l’autre, aujourd’hui, nous terrorise. Nous connaissons parfaitement nos contours et nos pas se sont synchronisés pour mieux franchir les obstacles. En fait, une union s’est réalisée, non pas en une après midi à la mairie, mais sur douze mois de vie serrés l’un contre l’autre. Fabien, tu es une partie de moi, je suis une partie de toi. Ce fut, cela reste et sera, une formidable aventure… à tes côtés.
Il en est ainsi de notre voyage. Il nous a forgé.
Et sans arrêt il nous reviendra en tête ; ne serait est-ce que parce notre moitié en est le reflet, sans cesse.
Vous allez rire… Nous nous séparons Fabien et moi aujourd’hui pour quatre jours seulement ! Quatre jours où je vais profiter de ma famille, rien que pour moi.
Hâte de vous revoir !!
Et il est écrit que la Vie reprendra son cours… mais que son tracé, pour vous deux, aura été pour toujours modifié… Excitos a los dos…
Christian y Blas…