Ce que je vais vous raconter dans cette histoire sera uniquement par la plume, les photos et vidéos étant interdites, les images resteront dans nos têtes comme un instant sacré, fermé à double tour et réservé à ceux et celles qui l’ont vécu et dont on aurait jeté la clef.
Il est 19h, nous nous dépêchons d’avaler notre « casado » (littéralement repas de l’homme marié, c’est un repas rapide, traditionnel et peu couteux du Costa Rica composé presque exclusivement de riz, de haricot noir, de salade, de viande ou poisson et de banane frite). Notre excitation l’emportera sur le plaisir culinaire, ce soir, nous avons un rendez-vous important.
Maria, notre guide de la soirée, nous attend près de sa maison. Nous serons aussi accompagnés d’une jeune famille Québécoise très sympathique. Leur deux enfants trépignent d’impatience comme nous. Avant de partir, quelques directives s’imposent : pas de lumière, pas d’appareil photo, pas de caméra, bref, zéro lumière. Toutes ces précautions, respectées à la lettre, sont prises pour permettre à des êtres humains comme nous, très curieux, de pouvoir se rapprocher pendant la nuit, sur la plage, des tortues vertes venant pondre leurs oeufs. Cela n’arrive qu’une fois par an de juillet à septembre sur la plage de Tortuguero et pas une autre (enfin, sans entrer dans les détails). Les tortues étant effrayées par les lumières blanches, au moindre rayon, elles repartent immédiatement dans l’océan sans laisser leurs oeufs. Ainsi, sans précaution, l’approche de l’homme près de ses animaux pendant un moment si particulier aurait un impact direct et catastrophique sur la reproduction des tortues et pourrait conduire droit à l’extinction de cette espèce. Les plages de Tortuguero sont donc une réserve protégée et très contrôlée. Vous comprenez maintenant pourquoi.
Aucun moyen de s’y rendre par soi même ni même de s’improviser guide. Maria a son badge officiel sur elle qu’elle devra présenter.
Après avoir quitté le village, elle nous remet un petit sticker nous permettant de rentrer sur la zone sécurisée où le tortues viennent pondre ; il atteste aussi que notre argent sera reversé dans tout un tas d’associations destinées à aider à la survie des tortues. Nous ne sommes pas peu fiers !
Nous marchons en file indienne dans la forêt, la lampe de poche est encore autorisée, ce qui permet aussi aux moustiques de bien se marrer sur nos mains et notre visage. Nous arriverons près d’un garde contrôlant les différentes arrivées sur une feuille de papier. En effet, il ne peut pas y avoir trois cents touristes répartis sur cette plage au même moment, vous imaginez le drame. Ainsi chaque guide récupère en fin d’après-midi son heure de passage sur la plage (nous ce sera 20h-22h), son groupe sera de dix personnes maximum. La plage est ensuite divisée en secteurs et chaque secteurs peut accueillir à chaque tranches horaires un nombre limite de guide. Ça ne rigole pas !
Nous tournons sur la gauche, droit sur la mer. Marie nous stoppe immédiatement « Éteignez vos lumières maintenant ». Tout le petite groupe s’exécute. Il faudra du temps à nos pupilles pour s’adapter au noir, nous tâtonnons et les parents Québécois tiennent leurs enfants par la main. C’est qu’il fait vraiment noir, nous ne voyons pas où nous mettons les pieds. Arrivés sur la plage, nous rejoignons notre secteur. Le groupe est surexcité. Maria nous fait signe d’un geste déterminé « Venez vite, venez vite ! ». Voilà deux minutes que nous sommes arrivés et déjà, derrière un buisson, le spectacle s’offre à nous… Dans un trou proche d’un petit mètre, deux énormes pattes bougent. Nous apercevons la moitié d’une carapace, une tortue verte est en train de pondre. Grâce à une lampe rouge, Maria éclaire l’arrière de la tortue (jamais l’avant) pour que nous puissions voir dans le noir. Nous resterons plusieurs minutes à l’observer. C’est un moment unique. Un oeuf, deux oeufs, trois, quatre, cinq ! Elle en pondra cent vingt en deux petites heures. Nous sommes attendris.
Après cinq-six minutes d’observation, Maria nous demandera de reculer pour laisser la place à un autre groupe. Nous avons de la chance ce soir, nous sommes le groupe numéro un et verrons donc tout en premier. A partir de cet instant, nous avons quarante cinq minutes devant nous, nous explique notre guide, et non plus deux heures. En effet, les deux heures sont un temps arbitraire fixé afin de permettre à chacun d’apercevoir au moins une tortue sur la plage. Au bout de deux heures, tu peux repartir bredouille. Mais à partir du moment que le groupe a pu observer une tortue, il ne lui reste plus que quarante cinq minutes afin de la laisser en paix. Nous retournerons plusieurs fois voir notre tortue pour suivre les différentes étapes de la ponte. Nous sommes accroupis près d’elle à seulement quelques centimètres tout au plus, c’est tout simplement incroyable !
Au bout de trente minutes, ayant visiblement fini sa tâche, elle commencera à reboucher le trou pour enfouir les oeufs sous le sable. Elle fera de grands mouvements avec ses pattes projetant sur nous des gros tas de terre. On a beau dire que l’animal est lent, cela ne l’empêche pas d’être fort !
Roulement de groupe, je m’éloigne pour laisser la place. Un autre guide crie au loin. Je m’arrête net car il s’adresse à moi. Je lève les yeux interloqués, je suis pourtant à seulement un mètre du reste du groupe loin de la tortue. Il continue à crier en s’adressant cette fois à tout le monde. Personne ne comprend son baragouinage sauf moi (et Maria je suppose) : une tortue est juste devant moi à trois mètres, elle s’avance vers moi. Je peux voir ses deux petits yeux. Le guide continue à crier (je vous rassure, les tortues sont sourdes) pour demander à chacun de ne plus bouger. J’ai le coeur qui bat à fond, je n’ose plus respirer.
Et puis ce fut le trou noir, on va dire ça comme ça. Je ne vois plus rien, le noir total, extinction des feux.
Fabien m’a rejoint. Je pointe du doigt l’endroit où j’ai aperçu la tortue quelques minutes auparavant, mais maintenant plus rien ne bouge. Maria nous demande d’attendre. Je crois voir au loin une forme bouger mais ne serait-ce pas le fruit de mon imagination ? Je me concentre pour la retrouver, elle ne doit pas être loin. C’est terrible que de vouloir chercher quelque chose à tout prix dans le noir et d’avoir interdiction d’allumer la lumière. Cependant, je pense avant tout au bien être de cette tortue, la tentation n’est pas grande.
Dix minutes s’écoulèrent sans que rien ne se produise. Le guide s’approche de nous attristé « La tortue était là, elle venait vers nous mais je ne l’ai pas vu à temps. Elle est repartie vers la mer, je lui ai fait peur. Je ne l’ai pas vu à temps… ». Maria nous réconfortera en nous expliquant que cette tortue reviendra probablement plus tard, lorsque aucun guide ne sera présent sur le secteur. Je suis tout de même peinée d’avoir fait peur à cette tortue et je prend conscience de l’impact que peut avoir l’homme sur une espèce aujourd’hui menacée. Nous repartons en silence un peu plus loin. Maria nous parlera de différentes choses dont une que je retiendrais plus particulièrement : sur cent vingt oeufs, six seulement survivront : les bébés rejoindront la mer plusieurs semaines après et retrouveront tout naturellement leurs parents.
Nous continuons à avancer sur notre secteur. Au loin un groupe de personnes alignées parallèlement aux vagues s’approche de la mer doucement, en avançant par petits paliers. Que font-ils ? Maria nous presse, une tortue regagne la mer. Nous partons les rejoindre et nous nous plaçons derrière la tortue afin de suivre ses pas. Un silence presque religieux règne à ce moment là sur la plage. Nous suivons petit à petit cette tortue jusqu’au pied de la mer. Nous avons ordre strict de ne jamais dépasser l’arrière de sa carapace.
Nous sommes tout près d’elle à la fixer, à l’accompagner, elle nous impose son rythme. En s’appuyant ses ses deux pattes de devant, elle réussit faire pivoter d’avant en arrière tout son corps de quelques centimètres. L’effort à l’air intense mais toujours, tout doucement, elle ne lâche pas son but : regagner l’océan. Il lui faudra ainsi vingt minutes pour traverser seulement dix mètres de plage. Elle doit faire 1m50 et sa carapace la freine affreusement.
Arrivée à quelques centimètres de l’eau, soudain, elle s’arrête ; et nous aussi. Des petites vagues viennent lui chatouiller les pattes avant. Ce soir, j’ai mis mes bottes en caoutchouc – j’ai de la chance – je peux moi aussi quitter le reste du groupe pour m’avancer jusque dans l’eau juste derrière elle. Je plisse des yeux comme pour m’imprégner désespérément au fond de moi cette instant magique. Je ne veux pas, il ne faut pas que cela se finisse si vite. Et pourtant, ce sera le cas. La tortue attend toujours devant moi sans bouger. Suis-je en train de rêver ? Je pourrais la toucher en tendant le bras !
Et puis… la mer s’est déchainée. Une grosse vague a entouré la tortue qui d’un coup de pattes s’est laissée entraîner dans les flots. Pendant trente secondes encore, je la vis. Elle roule dans tous les sens, de vagues en vagues, mais sans jamais revenir prés de moi. A partir de là, tout est allé très vite.
Elle a disparu.
Notre groupe s’éloigne, le spectacle est fini. Quant à moi, je n’arrive pas à partir. Mes yeux scrutent l’horizon. Je regarde de partout en espérant revoir un bout de son corps. Mais rien. L’air fouette mon visage. J’ai les yeux qui brillent. Est-ce une larme qui coule sur ma joue ? Je suis là, béate, dans le noir, les pieds dans l’eau sans rien faire. Au revoir la tortue. Et merci aussi.
Merci de m’avoir permis de vivre un moment pareil. Privilégiée depuis je suis, grâce à elle. Et quand j’y repense (je me rattache à mon seul souvenir physique, un petit collier en coquillage frappé de deux petites tortues), je me revois sur cette plage, la tortue devant moi la tête tendue à l’avant prête à plonger pour nager jusqu’à l’océan. Je revis précisément ces quelques minutes, comme si tous mes sens avaient réussis à imprimer en moi cet instant.
Je rougis alors d’avoir été témoin de ce spectacle. N’aurais-je pas dépassé les limites ? Violé un instant sacré ?
Il y a des choses qui ne s’oublient pas et des années après, vous ferons encore frémir. Un sticker et un collier pour seuls souvenirs, comme une clef jetée à la mer enfermant ainsi toutes les images au fond de moi.
Salut les globe-trotters!
Je viens de rattraper mon retard, (ça faisait un moment que je n’étais pas venue faire un tour sur ce blog) heureusement que l’été est calme chez Highway
Vous me faites toujours autant rêver, y a des jours où je me demande ce que je fous là au lieu de barouder comme vous aux quatre coins du monde!!
Bisous à vous deux
PS : Vous ne devriez pas être aux US d’après votre planning?
C’est toujours un plaisir de savoir que tu nous suis, tu sais le plus dur est encore de franchir le pas… Nous ne regrettons absolument pas ce choix!
Bisous a toi aussi, à bientôt!
PS : oui, nous sommes bien aux États-Unis, mais nous avons pris un peu de retard qu’il nous faut combler (assez ironiquement, c’est ici que nous avons le moins de connections Internet), et nous ne voudrions pas perdre les lecteurs moins attentifs en disant « nous sommes ici mais nos articles parle d’avant… enfin je pense que tu vois…)
Re-bisous!
Nous sommes toujours sur vos pas et vous suivons fidèlement. Nous sommes scotchés. Bisous à vous deux et à très bientôt