Des pneus qui m’arrivaient aux épaules, tous crampons dehors. Un pare-brise aux allures de pare-buffle, des barres d’acier de tous les côtés (à l’intérieur du bus, étrangement), mais qui pourrait faire office de carte stellaire quand on voit le nombre d’étoiles sur la vitre. Un siège « auto-basculant » (comprenez cassé) qui se couche pour un oui, pour un non. Une couche de poussière conséquente par terre. Le double sur sur le rebord de ma fenêtre. Une couche de poussière triple sur l’extérieur, mal grattée (oui, ici la poussière ne se balaye pas, ne s’aspire pas : elle se gratte). Une poignée de fenêtre mal fixée, juste au dessus de mon oreille, qui laisse passer de l’air de la poussière de tous les côtés. Une lampe rouge « 90km/h speed limit » suspendue au plafond.Elle n’a pas du être révisée depuis longtemps (de toute façon elle ne doit jamais servir).
Le voyage va être long.
Après un passage par le terminal de bus d’El Chalten, le point de départ de notre histoire, nous roulons pendant une durée infinie, en longeant le lac Viedma, avant de bifurquer vers le nord. La route est correcte, mais les paysages déjà bien connus! Des petites touffes d’herbes d’une trentaine de centimètres de haut, à la couleur variant du vert sombre au jaune paille, en formes de gouttes d’eau, sont éparpillées à l’infini.
Il est onze heure et nous nous arrêtons à une station service après une heure trente de route. Le chauffeur explique quelque chose rapidement en espagnol – nous n’avons pas tout de suite compris quoi – avant de disparaitre. Nous avons un quart d’heure, en tout cas. Pause pipi pour Élodie, je vais à la boutique. Sur la porte, deux affichettes annoncent « sin super » et « sin gas oil ». A acheter, des biscuits secs et du soda. Après concertation avec Élodie, nous investissons dans un soda, pour pallier à un éventuel manque d’eau dans la journée. En sortant, je regarde les pompes pour avoir une indication quant au prix pratiqués ici. Première pompe : essence Super. Oui, sauf qu’il n’y en a pas (comme indiqué à l’entrée). Seconde pompe : gas oil ; il n’y en a pas non-plus. En réalité, aucune des pompes n’est en fonctionnement. C’est louche. Nous reprenons la route, mais dans des conditions plus difficiles : le goudron a cédé la place à la piste de graviers (fin… pour l’instant).
Nous longeons, pendant près de deux heures, le chantier de la route goudronnée. Élodie pense qu’il est mis en pause, aucun véhicule n’apparaissant. Il faudra franchir le cap des deux heures pour apercevoir la première pelleteuse, et à l’arrêt encore. Depuis le passage hors asphalte, la vitre vibre de plus en plus fort (les graviers grossissent) et la poignée claque à quelques centimètres de mon oreille, c’est assez désagréable, et le paysage de plus en plus plat et sec, ne met pas de baume au cœur. La route, droite et monotone, ne doit ses moments palpitants qu’aux détours forcés que nous fait faire le chantier en parallèle, ainsi qu’aux animaux que l’on croise sur notre chemin ; chevaux, guanacos, ainsi que des nandous, une sorte d’autruche dont le nom m’échappe sans cesse, et que j’appellerai des « glouglous », en référence au bruit que j’imagine qu’ils font. Élodie est définitivement plus forte que moi au jeu du « trouve l’animal », je ne les vois pas, ou tard. respect. Le seul glouglou que j’aurai bien aperçu sera celui qui, pris de panique à l’approche du bus, se sera coincé la tête dans le grillage en bordure de route…
Route qui est longue, et les rares arrêts le sont au beau milieu de… rien : le premier avec vue sur la vallée à proximité, le second au bord du « rio Chico ». Les deux arrêts ont comme caractéristiques communes qu’il n’y a aucune installation, sanitaire ou marchande. Se soulager? Oui, derrière les buissons ou la colline. Nous sommes maintenant au beau milieu de l’après-midi, quinze, seize heure, et nous avons fini par comprendre (en substance) ce que le chauffeur avait dit à la station essence : « dernier endroit pour vous acheter à manger avant ce soir! »
Nous avons eu le plaisir d’observer nos voisins se sustenter, visiblement déjà au courant de ces non-possibilités d’achat de nourriture, et ayant des provisions, en particulier ces deux allemands, mangeant leur pâtes sauce tomates… à même le sachet plastique… Nous grignotons, à intervalle réguliers, des crackers que nous avions prévus en cas de fringale, priant pour une pause avec autre chose que des buissons. Et nous avons été exaucés. A dix-huit heure. Avec deux sandwiches triangles à 23 AR$ l’unité (à titre indicatif, nous nous en tirons ailleurs pour 6 à 8 AR$ par personne pour ce genre de prestations). une arnaque quoi. Le tout dans un lieu à faire trembler d’effroi le plus téméraire des voyageurs : un village à la croisée des routes pistes, à environ deux cent cinquante kilomètres du prochain secteur habité, animé par son unique resto-bar-auberge-dépot de pain-cabine téléphonique, et avec comme autre habitation… la maison d’à côté! D’autres bâtiments sont la, dans un état de délabrement et d’abandon avancé.
Nous reprenons le bus, toujours le même, toujours cette piste aux graviers toujours plus grossiers, qui nous secoue comme un shaker, toujours cette poignée qui claque. Il est dix-neuf heure, et pour la première fois depuis le début du voyage on ressent une certaine lassitude du bus, et on souhaite arriver au plus vite. heureusement, en cette fin de journée, de nouvelles occupations viennent égayer le trajet. Tout d’abord, le paysage se transforme, petit à petit, en des terres montagneuses, plus houleuses, accompagné par un coucher de soleil qui donne à la terre une teinte rouge appuyée, et de plus nous nous amusons à étudier le parcours alambiqué de notre bus : le chantier, parallèle à la route que nous empruntions jusqu’alors est plus avancé, la route asphaltée mais pas partout, et le chauffeur fonce sur le bitume jusqu’à rencontrer un obstacle qu’il esquive en reprenant la piste, et ce durant plusieurs dizaines de kilomètres, et autant de déviations.
La nuit tombe alors que nous faisons escale à Perito Moreno (une ville très éloignée du glacier éponyme) pour laisser s’échapper une grosse partie des passagers, qui ont choisi cette étape pour dormir. Quant à Élodie et moi, nous restons encore pour une demi-heure de route supplémentaire dans l’obscurité la plus totale, vers Los Antiguos. Le bus finira sa course dans le jardin de l’auberge où nous dormons : c’est aussi l’étape des chauffeurs. Cependant, ceux-ci nous expliquent qu’ils repartent au sud le lendemain, et que nous devons en prendre un autre le lendemain matin à six heures, au terminal de bus situé deux à kilomètres! Heureusement, notre hôtesse, très habituée à ces cas, nous commande un remis (un taxi « pas vraiment officiel » disons) pour nous y rendre, le lendemain, avec un troisième passager : l’Italien d’El Calafate, que nous retrouverons dans la cuisine, son éternelle bière à la main… Lui se sera retrouvé coincé plusieurs jours ici, les bus ne circulant pas tous les jours, et spécialement pas les jours fériés!
Après un sommeil profond et un réveil des plus douloureux, nous nous rendons au terminal. Le bus arrive, lui aussi, mais une bâche sur une partie des vitres! Fendues? Non, non, carrément cassées !
Le voyage (pour nous en tout cas) n’en sera pas trop affecté, nous sommes devant; la seconde journée sera surtout marquée par un grand classicisme : route en grande partie goudronnée, film (pour nous occuper pendant sue la gendarmerie bloquera pendant près de deux heures le bus pour tenter en vain de faire réparer les vitres), passage par la capitale du mouton (trois mille habitants pour huit cent mille moutons, non non vous ne rêvez pas, le pire étant que j’ai du en voire cinquante à tout casser!), avancée entre les villages (pour le coup on en a croisé et on s’est arrêtés à plusieurs endroits!), et surtout, changement d’ambiance progressive : on est parti du désert pour arriver en plein « village suisse », fatigués, « notre » oasis, Bariloche, la capitale sud-américaine du chocolat…
A la lecture de ce récit, on pourrait penser que cette route nous à déplu, mais en vérité nous avons adoré ce parcours : des paysages certes redondants mais magnifiques, la sensation des grands espaces, l’impression d’extrême solitude, de perdition même, l’aventure, quoi!
Tous les bus ne sont pas du même luxe!
On peut pas être au top tout le temps!
Bizz
Mam Kty