Nous venions à peine de trouver notre sommeil lorsque soudain, le bus s’arrête et les lumières s’allument. Tout le monde à bord rouspète. Pourquoi nous réveille-t-on (encore) si brusquement ? Il est 4h du matin…
Et nous venons, après dix heures de bus, d’arriver au terminus : Bagan.
En vérité notre bus nous déposera dans la ville de Nyaung U, située à trois kilomètres du site archéologique. Nos voisins, des locaux, se précipitent dehors tandis que nous, les cinq touristes que nous sommes hésitons à descendre – c’est ridicule oui je sais. L’hôtesse nous fixe calmement sans rien dire. C’est qu’il fait nuit noire à cette heure-ci, on voudrait pas se planter d’endroit. Fabien se décide à lui parler malgré le niveau d’anglais peu brillant de cette dernière. Ça se confirme : nous sommes à Nyaung U au beau milieu de la nuit.
Nous sortons dehors, moi, sans ma polaire, prévoyante que je suis pour affronter la chaleur torride du Myanmar des plaines ! Non, je plaisante, on se pèle les miches ! Mais ça, je ne le savais pas avant de sortir. Cela fait trois mois que l’on vit sous trente six degré, je m’étais même acclimatée à mes vingt huit minimales… et là, c’est la claque. Il fait moins de dix. Pas le temps cependant de trainasser et de sortir les gros pull enfouis au fond des valises, nous avons un logement à (peut-être) récupérer, pour autant qu’il soit ouvert à cette heure-ci… Dans la semi-obsucrité, nous nous éloignons du bus. Nyaung U a en réalité plus des allures de bourg ; sa gare routière est un terrain vague et il n’y a qu’un seul lampadaire dans le secteur. Un jeune homme s’approche de nous, gentiment, sans crier. Il nous propose ses services de taxi pour nous conduire au May Ka Lar Guesthouse (notre réservation faite par téléphone, nous avons investi dans une carte téléphonique prépayée locale) et nous demande une somme – délirante ! de 4 000 kyats – que j’accepterai à la grande surprise de Fabien. Il est tard tôt, on vient de me réveiller brusquement pour me poser sur cet espèce de terrain poussiéreux entourée de seulement quatre touristes et tout juste le double d’habitants présents… alors je ne la ramène pas trop ; d’autant plus que je ne sais pas si l’auberge est loin d’ici. Notre chauffeur nous conduit donc jusqu’à son véhicule. Le dit véhicule qui s’avéra être :
Une calèche !
Si si !
Une vraie calèche en bois avec des grandes roues, un cocher (et un cheval évidemment) !
Nous grimpons vite, à la fois amusés et perplexes, pour nous caler entre nos gros sac à dos. Ho hop hop, file comme le vent Pile-Poil ! Nous rejoignons cette fois l’obscurité du village, Nyaung U n’est pas encore éclairé. Nos voisines de bus, encore à attendre je ne sais quoi, rigolent en nous voyant partir ainsi. Sont-elles en train de voir défiler un épisode de la petite maison dans la prairie ?
Souriez les filles ! C’est ce qui vous attend !
Nous avançons dans la nuit. Nous n’entendons que le claquement des sabots contre le sol. C’est comme si nous avions remonté le temps. Notre cheval rechigna longuement avant de nous conduire à notre chambre, il fit demi-tour trois fois, se stoppa et poussa notre cocher à courir à ses côtés pour l’accompagner (c’est dire la vitesse folle de notre calèche). Nous nous regardons Fabien et moi et ressentons quelque chose d’étrange face à la situation. Il est 4h du matin, nous grelotons, il fait nuit, notre ville imaginée s’est transformée en patelin des année 1900, notre taxi est une calèche, notre cheval rouspète et nous sourions pourtant tous les deux jusqu’aux oreilles !
On adore ce pays, il est unique.
Bienvenus au Myanmar les amis !
L’aventure continuera jusqu’au pied de notre auberge. Les nuits birmanes ne nous réussissent décidément pas. La porte est close et les lumières sont éteintes. Résignée je pose mon sac à terre et m’assoit dessus, prête à attendre le lever de soleil ainsi sur la chaussée. Fabien, lui, crie par dessus la grille sans grand succès. Il re tente son appel dix minutes plus tard et… une lumière s’éclaire. Un monsieur sort au bout de cinq minutes, mal réveillé avec une serviette de bain en guise de turban.
« Nous avons une réservation chez vous. Peut-on entrer ? » Pas de réponse mais la porte s’ouvre en grand. Dans un gémissement difficilement compréhensible, il nous apprend que notre chambre -ô miracle – est prête et que nous pouvons la prendre immédiatement. Nous attrapons les clefs et regagnons notre lit en veillant à ne pas marcher sur le corps allongé sur le sol. En effet, un jeune voyageur visiblement arrivé plus tôt que nous n’avait pas eu sa chambre et avait prié d’obtenir au moins un abri. Il se trouvait donc là, dans le minuscule hall d’entrée à dormir. Quel drôle de pays…
Extinction des feux. Satisfaits d’avoir un toit où se reposer à cette heure-ci, nous nous endormirons sur nos deux oreilles. La journée de demain sera chargée, nous devons nous renseigner sur les multiples possibilités de visite du site de Bagan.
Bagan est le site archéologique les plus important du Myanmar. Il compte autant de temples de briques rouges, réunis sur une plaine peu étendue, que l’Europe possède de cathédrales médiévales. Les rois de Bagan, qui introduisirent le bouddhisme theravada furent soucieux de donner corps à leu foi. En seulement 230 ans, ils érigèrent près de 10 000 temples dont 4 000 seulement subsistent aujourd’hui.
A l’origine, cette région de l’Ayeyarwady était occupé par une petite cité puy stable et florissante. Les fouilles récentes indiquent que cette cité-Etat était devenue importante en 850 après Jésus Christ. De « Pyugan » découlera « Bagan ».
L’ascension de Bagan coïncide avec le passage de l’hindouisme et du bouddhisme mahayana au bouddhisme theravada, resté depuis lors la confession principale du pays. L’acteur principal de cette conversion fut un moine, qui était venu prêcher auprès du roi bamar Anaurahta. Dire que sa mission fut un succès serait un euphémisme. Le roi commissionna des architectes afin qu’ils créent un royaume à la hauteur de Bouddha. Ses successeurs poursuivirent ce gigantesque programme de construction, qui ne fut jamais vraiment interrompu pendant la période glorieuse de Bagan. L’empire déclina vers 1300, juste avant l’invasion par les Mongols.
Au fil des ans, le manque d’entretien, les pillages, les déjections d’oiseaux, l’érosion et, surtout, le tremblement de terre de 1975, ont abîmé ces monuments. Désormais on ne peut voir que les édifices religieux, car aucun des bâtiments séculiers (demeures, marchés, écoles) ne subsiste.
On ne peut pas non plus dire que le gouvernement récent fut tendre avec les villageois installés depuis 1970 dans l’enceinte fortifiée du Vieux Bagan. En mai 1990, il déplaça le village par la force. Selon certaines sources, les habitants n’auraient eu qu’une semaine pour quitter les lieux, d’autres affirment que le délai était plus long mais que les habitants repoussèrent l’inévitable jusqu’à la dernière minute. Quoi qu’il en soit, il est sûr qu’ils aient résisté au transfert de leur foyer dans un champ d’arachide aujourd’hui devenu le Nouveau Bagan. Ces habitants ont ainsi fait de leur mieux pour s’installer dans un réseau de rues poussiéreuses. Quant au Vieux Bagan, les autorités birmanes mirent tant de zèle à effacer toutes les traces de l’ancien village autrefois implanté, qu’il est difficile d’imaginer que des maisons se trouvaient à cet endroit.
Nous poserons nos valises, si vous avez bien suivi, dans le village de Nyaung U, plus au nord, certes loin de Bagan mais bien plus animé et typique.
L’artère principale sur laquelle nous donnons est composée de plusieurs boutiques à la suite, rien de bien touristique, vente de sculptures sur bois, bouquets de fleurs pour les offrandes, tuyauterie ou épicerie avec les produits de première nécessité tel que huile, eau, riz, soja, pain de mie. Rien de palpitant. A Nyaung U, nous ne trouverons pas de quoi caler les faims pour le pique nique du midi si ce n’est des chips artisanales (délicieuses mais trop grasses). Dans l’artère principale on trouve aussi des restaurants pour voyageurs et de nombreuses maisons de thé locales, comme expérimenté pour l’anniversaire de Fabien, sommaires bien sûr mais toujours animées et très agréables.
Le premier soir où nous sortirons, nous aurons la surprise de découvrir une ville plongée dans le noir. Les habitants sont pourtant là, ils rient, ils mangent, il vivent quoi. Sous la lueur de la lune, nous distinguons des formes noires dans la rue et les phares des scooters laissent entrevoir le nuage compact de poussière qui a envahi Nyaung U. Cela fait un drôle d’effet.
Dans les petits restaurants, les clients s’éclairent à la bougie. Une ville sans électricité… C’est somme si le temps s’était arrêté. Surprenant. Nous nous avançons près des plus gros restaurants, ceux qui ont investi dans un générateur. Au Myanmar, chaque jour a son lot de coupure de courant et beaucoup d’adresses pour voyageurs finissent par bidouiller pour fournir lumière et eau chaude un maximum de temps, sans toutefois garantir un maintien permanent de l’électricité. Quelle surprise de vivre ces si nombreuses coupures dans un village pourtant largement alimenté ! Sommes-nous réellement au XXIème siècle dans ce pays ?
Peut-être pas.
Sous les rayons rassurants du soleil, nous nous enfoncerons plus loin dans Nyaung U. Nous découvrons la vie rurale du Myanmar, celle qui occupe … un bon pourcentage du territoire. Premier constat : la voiture n’a pas une grande place ni même les scooters. Une majorité des gens se font transporter dans des pick-up reconvertis en bus collectifs inconfortables ou optent pour leurs vélos personnels. Il y a aussi sur les routes les très nombreuses calèches qui ne sont pas seulement une attraction à touristes mais bel et bien un moyen de transport répandu dans le pays. Enfin, n’oublions pas de mentionner l’incontournable char à bœufs pour transporter les marchandises les plus lourdes en toute circonstance. Encore une fois, où sommes-nous ?
Nous nous apercevons vite que Nyaung U nous jouait un vilain tour. Son artère principale n’était qu’un leurre. Derrière ses façades de maisons en briques se cache le vrai village où il y a la vie. Des dizaines de petites maisons en bambous se suivent comme celle sur la photo ci-dessus, des feux sont entretenus sur le sol le long des allées pour réchauffer les habitants le soir pendant que le curry mijote, des enfants jouent au football dans la rue, un sport national si j’ose dire étant donné qu’ils se passionnent pour la Ligue des Champions chaque soir de retransmission de match et il y a tous ces hommes à vadrouiller en jupe, pardon, en longyi. Ce pays est le seul a posséder une population masculine habillée exclusivement avec un vêtement traditionnellement féminin. En réalité, je me moque, ils portent un sarong autour des hanches dès la plus tendre enfance, qui leur va très bien ; à croire qu’ils finissent par le porter comme un emblème national.
Dans les rues de Nyaung U, la vie suit son cours et je dois dire que nous avons été accueillis comme des… eu… extraterrestres. Les habitants, perplexes nous ont fixé pendant notre promenade entre leurs maisons. Cet après-midi là, nous avons créé beaucoup d’interrogations et de curiosité autour de nous. Les enfants n’hésiteront pas à sortir de leurs cabanes, pardon, leurs maisons, pour nous faire de grands signes. Certaines dames essayeront, elles, d’entamer la conversation par des bribes d’anglais mêlés de mot bamar. Et quelques monsieurs âgés, plus téméraires mais surtout ravis de venir à notre rencontre, nous présenteront leurs activités familiales sans qu’on leur demande. Ils nous inviteront pour certains à entrer chez eux. Dans quel autre pays au monde un habitant vous invite aussi spontanément à entrer chez lui ? Nous aimons ces birmans. Ce sont des gens curieux, ambitieux, toujours prêts à papoter même (et surtout) avec les étrangers. Et heureusement qu’ils sont là pour nous mettre du baume au cœur car les rues poussiéreuses de ce terrain vague qu’est Nyaung U dévoile sans artifice la pauvreté extrême dans lequel est laissé tout un peuple. Grâce à ces personnes accueillantes, nous ne retiendrons que le visage de ces habitants. Je sens que le Myanmar nous marquera.
Couvrant une plaine de 67 km2, Bagan est spectacle merveilleux. Nous prenons conscience de la beauté saisissante du lieu. Nous reculerons notre départ pour rester finalement cinq jours dans ce tableau rural et historique ; deux jours à rencontrer les villageois, trois autres nécessaires à la découverte des milliers de temples qui nous sont offerts (enfin presque, il faut payer 10$ par personne à l’Etat). Découverte à la fois excitante et originale car le Myanmar n’offre pas d’organisation touristique aussi pointue que le Cambodge et son complexe Angkor (qui était parfaite), il nous poussera alors interpeller les habitants pour connaître notre chemin et à emprunter les pick-up collectifs locaux pendant les deux jours où nous visiterons le site à pied (le Vieux Bagan puis le sud du Vieux Bagan). Nous nous offrirons aussi les services d’un cocher pour une journée.
Bagan a beau être le site majeur touristique de ce pays, son étendue est telle que nous nous sommes presque toujours retrouvés seuls au milieu des temples avec cette douce impression que le site n’était qu’à nous, à la merci de nos envies… comme si nous étions les premiers à fouler la terre poussiéreuse de Bagan. Magique !
Le premier jour de visite, nous opterons donc pour la marche à pied. Pour des raisons médicales, je ne pourrai pas circuler en vélo mais ce n’est pas grave, nous prendrons le pick-up, assis à côté de Madame rentrant de faire son marché, ses dizaines de sacs débordant de légumes, et coincés entre les énormes caisses en bois regorgeant de poissons (bonjour l’odeur). 500 kyats ou 1000 le trajet, selon l’humeur du chauffeur ; dans tous les cas, on ne peut pas dire que ce fut une ruine. Mais l’expérience fut intéressante. Chacun est content de partager quelques centimètres de son banc pour accueillir un étranger. Si ce proverbe n’existait pas, je crois qu’il faudrait l’inventer : « Dans tout type de transport, une place tu trouveras ». Nous avons été témoin de machines sorties d’après guerre à l’aspect plus que douteux, que l’on s’amusera à nommer « tracteurs » du fait de son énorme moteur exposé à l’avant. Ça débordait de personnes de tous les côtés ! Les birmans ont la faculté de toujours trouver une place pour celui qui en a besoin même quand, clairement, il n’y en a pas. Le métro de Paris aux heures de pointes fait figure de parking vide à côté.
Dans notre pick-up collectif, nous observons le paysage. De ci de là, à gauche comme à droite, se succèdent déjà à la sortie de Nyaung U des centaines et des centaines de petites constructions en briques rouges reparties sur des kilomètres. C’est comme si vous aviez sous vos yeux une forêt de temples endormis. On aurait presque voulu demander au chauffeur de nous arrêter là, c’était déjà bien suffisant, mais nous avons continué.
Visiter le Vieux Bagan se fait sans aucune difficulté à pied. Pas la peine de s’encombrer d’un cocher ou d’un vélo pour ce petit secteur, à moins que vous souhaitiez en sortir et aller plus loin. Le pick-up nous déposera devant notre tout premier temple du site archéologique : Ananda, probablement le plus imposant que nous ayons vu. Le plus fréquenté aussi.
Nous fermons les yeux sur ce phénomène pour profiter du lieu. Après avoir enlevé chaussures et chaussettes à l’entrée, nous caressons de notre pied nu la première pierre rugueuse et froide de Bagan. Dans l’obscurité de ce dôme de pierres centenaires, nous découvrons quatre énormes Bouddhas dorés. Nous nous stoppons à une dizaines de centimètres d’une natte en bambous tressés, là où deux birmanes se sont agenouillées pour prier. Nous les observons en retrait, un peu gênés de nous introduire dans ce qui devrait être un moment d’intimité avec soi même. Elles murmurent des phrases en pali et inclinent leurs têtes jusqu’au sol. Nous n’osons bouger. Puis, comme elles étaient arrivées, elles se lèvent, nous offrent un large sourire et déposent 100 kyats chacune dans l’urne du temple avant de partir. Une belle somme pour ces gens.
Dans le bouddhisme, il est dit que toute bonne action entraîne de bons évènements. En venant faire des offrandes, ces deux femmes tentent d’améliorer leur quotidien. Elles ne prient personne malgré ce que l’on pourrait penser, mais tente de tirer parti des enseignements de Bouddha qui visent à soulager les esprits. Deux autres personnes qui attendaient derrière, prennent leur place. Ce sont deux jeunes homme cet fois, des adolescents presque. Nous les dépassons pour visiter les couloirs du temple. Le silence règne dans Ananda, seuls quelques murmures en pali et des phrases de voyageurs comme nous, lâchés par mégarde, sont perceptibles.
Ananda n’est pas un cas unique. Bagan possède 4 000 temples et probablement le triple de statues de Bouddha entretenues. Tous sont visités un jour par un birman venu se recueillir et faire des offrandes. Il règne sur ce site archéologique quelque chose que nous n’avons encore vu nulle part ailleurs, une impression que ce n’est pas nous touristes qui le maintenons en vie, mais que ce sont ces habitants qui lui donnent une âme. Une ferveur religieuse règne sur tout Bagan et c’est cette atmosphère là qui rend toute visite si envoutante.
Chaque pierre est marquée par le temps. Chaque sculpture a subi les ravages du climat et des catastrophes géologiques. Même si Bagan a fait l’objet de plusieurs rénovation par l’UNESCO, il n’a pas l’aspect lisse, tape à l’œil et brillant des nombreux sites visités auparavant. Les dalles sont cabossées, la poussière recouvre ce qui devrait être un « chemin de visite pour les touristes » et les peintures s’effritent. Ce lieu sacré nous impose de nous déchausser complètement dès le passage des premiers remparts. Nous déambulerons trois jours durant, humblement sur ce sol sacré, à la découverte des secrets de Bagan, sur des terrains que l’on pourrait croire jamais fréquentés. Des graviers pointus jonchent les pierres cassées et du sable épais (et dieu sait quoi d’autre) recouvre les maigres escaliers sombres du cœur de la pagode. Des fois, on grimace de douleur. Le chemin doit être difficile pour s’approcher de Bouddha ? Les acacias bordant les temples répartissent sournoisement leurs petites épines sur les allées… Combien en as-tu enlevé ce jour là de ton pied Fabien ?
Bagan a cela de magique : il n’est pas un site parfait. Il ne reste pas grand chose de sa splendeur d’antan. Ses fissures sur les murs, sa peinture à demi-effacée ou ses toiles d’araignée sur les grilles et même sur Bouddha ! Ses petits défauts offrent au regard attentif un aspect bien plus plaisant qu’un site trop travaillé. Pour terminer notre comparaison (même si je sais qu’elle trop facile) : la grande différence entre Angkor et Bagan est là : le premier est maintenu dans un état soigné d’abandon volontaire pour démontrer la grandeur des rois dieux (ils réussissent à la perfection ! Angkor est spectaculaire) quand Bagan est, lui, laissé dans un état négligé pour des milliers de petites pagodes en briques rouges. Muni d’un chapeau et d’eau, partir en exploration de ce site peut vite devenir une vraie aventure inoubliable.
Une journée toute entière se fera en compagnie d’un cocher pour cavaler sur les chemins de terres, à l’écart des principaux sites touristiques. L’allure est lente, imposé par notre jument. Ne rigolez pas, c’est que nous ne sommes pas habitués à circuler en calèche. Notre chauffeur a la conversation facile – comme tout bon birman – et passera une heure à nous apprendre les secrets de sa langue. Fabien, élève consciencieux, notera tout, absolument tout sur un petit cahier et reprendra des dizaines de fois les différentes intonations. Attention « na » peut signifier « cinq », « oreille » ou « poisson » en fonction de l’accentuation.
Notre guide nous emmènera hors des routes goudronnées et très vite nous nous retrouverons presque seuls à cavaler de temples en temples, à travers les petits villages installés sur les plaines sèches, au milieu des troupeaux de chèvres. Les gros temples du Vieux Bagan font désormais place à des centaines de petites pagodes rouges. Il y en a de partout ! C’est encore plus impressionnant.
On pourrait les explorer tous mais je crois qu’il faudrait toute une vie. Nous nous résignons à suivre les conseils de notre ami. Il nous conduira vers des lieux isolés avec pour seuls occupant le gardien des clefs. Le tout premier visité sera le plus émouvant. Il ne fait pourtant que dix mètres carré. A l’intérieur, son gardien, assis sur le sol, nous attendait. Il nous avait vu venir de loin, tout timidou que nous sommes, et nous fera signe d’entrer sans avoir peur. De belles peintures minutieuses recouvraient les murs de cette pagode.
L’atmosphère est au recueillement, des offrandes récentes ont été faites par une maman birmane et sa petite fille (qui n’oublia pas de nous lâcher son beau « hello » avec un sourire tout mimi ! Les birmans sont à croquer et les jeunes femmes sont vraiment belles). Nous garderons le silence, à nous imprégner du lieu. Le papi, gardien des clefs, qui n’avait cessé de nous fixer en souriant, finira par briser ce silence pour murmurer des mots dans sa langue (dévoilant au passage son absence de dent). Nous ne comprendrons rien, évidemment, répondrons poliment en anglais et quitterons la pagode. Je crois qu’il nous invitait à nous assoir à ses côtés pour discuter.
La suite de la journée sera une succession de pagodes. Toutes reprennent un même style, plus ou moins prononcé, avec un « hti » en forme d’ombrelle couronnant le toit ou d’un « sikhara » en forme d’épi de maïs de style indien. Le peu d’ouvertures sur l’extérieur n’ont pas laissé – depuis tout ce temps – les rayons du soleil s’infiltrer, préservant ainsi quelques magnifiques peintures, les trésors de Bagan. Les nombreuses fresques observées ce jour là furent des plus raffinées. Et c’est à la lueur de notre lampe torche que nous nous enfoncerons dans les couloirs sombres des « paya » afin d’admirer les peintures sacrées. Chaque mur, chaque creux, chaque corneille furent peints méticuleusement et racontent l’histoire du roi et de Bouddha. Bagan a cela aussi de merveilleux et d’assez unique : toutes les périodes du courant bouddhistes sont entremêlées dans ces vestiges. Certaines fresques rappellent immanquablement la trinité indoue en représentant Vishnou, Shiva et Brahma. Elles évoquent bien souvent le bouddhisme tantrique et s’inspirent clairement des plateaux chinois ou tibétain. Quand d’autres sanctuaires reprennent des formes khmères… Bagan est donc à juste titre un véritable joyau, une perle rare aux yeux des passionnés d’histoire et d’archéologie. Pour nous, simples curieux, arpenter les couloirs ensablés de quelques temples piochés au hasard avec notre lampe torche, pieds nus, fut le début d’une vraie aventure.
Bagan recèle ainsi de nombreux trésors cachés, site finalement assez méconnu dans le reste du monde. Et pourtant… Après avoir passé des heures dans les méandres des innombrables « paya », nous découvrirons une fois de plus toute la splendeur du site mais cette fois sur les hauteurs. L’ascension difficile des dizaines de pèlerins que nous sommes vers 17h, nous récompensera d’une vue époustouflante, une peinture encore jamais vue. Du regard, nous balayons cette terre infinie à la quantité invraisemblable de temple, suite de la mégalomanie d’un roi voulant convertir tout un peuple à un bouddhisme encore parfaitement vivant de nos jours. Bagan est un site plus vrai que jamais. Histoires entremêlées de mystères, de passions et de dévotions. Nous tremblons rien qu’en embrassant du regard cette vison panoramique sur les plaines. Instant… surréaliste.
Mais Bagan ce n’est pas que ça. Au delà de ses 4 000 temples (impossible de les visiter tous sans un surdosage écœurant), nous ne comptons pas les innombrables sourires birmans, d’une sincérité poignante, ni tous ces regard curieux et jovials de nos voisins. Nous ne comptons pas plus le nombre de fois où un habitant nous a inviter un boire un verre avec lui pour simplement discuter.
Discuter doit vouloir dire « bonjour » en birman au même titre que « riz » l’est en Thaïlande et au Cambodge. Parler est l’essence même du Myanmar. Nous venons à peine d’arriver dans ce pays et déjà, nous nous faisons stopper pour trois fois rien afin de dialoguer de tout et de rien avec un inconnu. Nous posons une simple question et notre interlocuteur démarre au quart de tour.
Et nous ne comptons déjà plus les innombrables rencontres avec les habitants de ce pays, qui s’annonce d’or et déjà unique.
Aucun doute, c’est l’un de vos plus chouette « reportage »… très réussi par les photos, le texte …et surtout grace à ces birmans dont vous êtes tombés amoureux …on le ressent tout au long de votre aventure partagée avec nous …
[…] fini notre journée et nos pas nous ont mené à la sortie du Vieux Bagan près du Pahto Ananda, le premier temple visité. Nous sommes à la recherche d’un pick-up collectif pour retourner à notre logement. Nous […]
Cet article est magnifique. J’en ai les larmes aux yeux. je pars vendredi pour la Birmanie, et j’en suis encore plus impatiente!
Merci !
Nous partons à 4 : mon mari et mes deux ados dans quelques semaines ….Le myanmar ? J’en rêve depuis 25 ans …. Merci de m’avoir permis d’anticiper avec bonheur mon voyage en surfant sur votre blog ….