Il y a des sites qui soulèvent des interrogations quand on les évoque. Il y en a en revanche d’autres qui sont « universellement » connus. Le lieu dont nous allons parler dans ce billet fait sans aucun doute possible partie de la seconde catégorie. On en parle depuis des années, des siècles même, il a fait courir les rumeurs les plus folles, les fantasmes les plus grands pendant des générations, il a fait l’objet de films et de romans (plus ou moins fidèles), de dessins animés et de bandes dessinées, de thèses, de recherches pendant des années. On l’a surnommé (à tort) « la cité perdue des Incas » ou d’autres du même genre. Véritable ville-temple perchée en haut d’une montagne, il s’agit évidemment du Machu Picchu (vous l’aviez d’ailleurs déjà deviné, du fait de sa « seconde catégorie »). Nous l’avons rêvé, nous y sommes allés, nous l’avons vu, nous l’avons vécu, nous l’avons adoré.
La veille, pourtant, tout n’était pas si rose ; partis le matin de Cuzco à Ollantaytambo en bus, nous attendions le train à la gare (logique, somme toutes), pestant contre son prix absolument prohibitif (un peu plus de cinquante dollars US par aller et par personne, une véritable fortune quand on sait qu’un repas complet nous coûte seulement un à deux dollars chacun!), mais nous ne voulions pas perdre trop de temps en passant par des solutions alternatives, certes moins chères mais plus longues et passablement illicites. Nous voici donc assis, entourés d’une horde de touristes de tous poils partant comme nous à l’assaut de la citadelle Inca. Le train arrive et nous nous installons. Bonne surprise, au contraire des wagons A et B, le C (le notre) est à moitié vide, et l’on nous invite à nous placer où nous le souhaitons (et logiquement nous allons dans un vaste carré vide pour nous étaler), et la voiture C est en excellent état, avec des petites vitres sur le toit pour apercevoir les montagnes alentours. Le train démarre, et là le drame recommence. Une voix déblatère un texte que je vous épargne (…pour l’instant) en espagnol puis en anglais, nous souhaitant la bienvenue, nous indiquant l’emplacement des issues de secours, extincteurs puis nous demandant de garder « bras, mains, tête, jambe et pieds à l’intérieur du véhicule pendant toute la durée de votre voyage » ; manque plus que l’annonce interdisant de filmer ou de prendre des photos avec ou sans flash et on se retrouve à Disneyland ; du délire. La suite du parcours du train sera d’ailleurs fort ressemblant à l’attraction éponyme : « regardez à droite, c’est la montagne [insérer ici un nom de montagne quelconque], la montagne la plus grande de la région! Elle fut gravie pour la première fois par [insérer ici le nom d’un alpiniste] en [date] », ou encore « nous passons maintenant par le village de Trifouillis-Les-Trois-Joies, c’est d’ici que part le sentier centenaire des Incas », j’en passe et des meilleures, bref, du grand n’importe quoi.
Nous arrivons une heure et demie plus tard. Contrairement à nos habitudes, nous n’avons rien réservé à Agua Callientes, (communément renommée « Machu Picchu Pueblo » par ses habitants), et nous nous retrouvons, comme d’habitude, harcelés par des hébergeurs en quête de touristes pour remplir leurs chambres. Au début nous déclinons les -trop nombreuses et trop chères- invitations pour nous orienter vers une auberge recommandée par notre guide de voyage, mais nous sommes attrapés au vol par une femme qui nous propose une habitation bon marché, nous nous décidons à la suivre « pour voir » ; la chambre est toute neuve, mais avec vue sur torrent bruyant et rafraichissant, et porte-fenêtre sans verrou, et donc avec un interstice… rafraîchissant… allons voir ailleurs, nous repartons sur la piste donnée par le livre, pour découvrir que la seule auberge dans nos prix est entièrement en travaux! Retour donc dans le logement précédent. Avant d’aller manger, nous allons faire un repérage pour le lendemain matin, jusqu’à l’arrêt de bus, où nous manquons d’avaler nos bonnets (avec des lamas dessus évidemment) : dix-sept dollars aller-retour par personne pour même pas quarante minutes de bus?! Ça donnerait presque envie de faire la montée à pieds, mais nous avons déjà d’autres plans… Nous nous restaurerons dans un truc à touristes par trop onéreux avant d’aller nous coucher… tôt… car demain on se lève… encore plus tôt…
Le réveil est programmé pour quatre heure du matin (pour arriver sur le site avant le lever du soleil) mais comme presque chaque jour, je suis réveillé quelques minutes avant, et je le laisse sonner. Sitôt fait, nous nous levons, habillons et sautons dans le hall pour boire un café (parce que oui, à quatre heure trente du matin on nous a proposé le café). Avalé le breuvage, nous partons pour le bus, et la, le choc : une file d’attente de plusieurs dizaines de mètres pour les transports pour le Machu (comme à Disneyland on vous dit!). On se place et on attend, régulièrement sollicités pour nous vendre café, bonnet, nourriture… L’organisation est cependant bonne et on se retrouve assis dans le bus sur une piste sinueuse entre des milliers d’arbres, à monter, monter, monter , pendant que le soleil fait de même! Qui arrivera le premier? (un indice : nous sommes plusieurs, en bus mais moins lumineux). Au détour d’un virage, on voit des terrasses, puis plus rien… Était-ce cela? Le bus s’arrête, on descend, on re-fait la queue pour le contrôle des tickets… Nous sommes au Machu Picchu!
Après une volée de marches abritées par de la végétation qui cache les escaliers en même temps qu’il nous masque le paysage, nous débouchons sur des terrasses monumentales, et deux chemins, à gauche la montaña Machupicchu, à droite une vue sur le site; allons de ce côté et découvrons… Quel moment intense! Cela fait des semaines que nous projetons cet instant, des jours que tout est organisé, et nous y voila! Quelques pas après l’embranchement, nous découvrons le site « en version carte postale », et nous ne nous lassons pas de regarder ce spectacle fabuleux ; l’endroit est en fait au delà de nos espérances et est d’une grande beauté, d’une grande harmonie. Nous nous asseyons, largement (déjà) entourés d’une nuée de nos semblables, touristes matinaux, pour observer le lent lever de l’astre solaire sur la cité sacrée (et le temple en son honneur) et prendre un petit déjeuner un peu plus copieux qu’un simple café, en même temps : quel luxe de le faire sur les pelouses de cet endroit! Très vite, les rayons du soleil dardent sur nos peaux et rendent le spectacle magistral. Quelques photos plus tard, nous repartons, car nous souhaitons faire quelque chose de particulier ce matin et profiter de la relative fraicheur que nous accorde ce début de matinée : gravir la montaña Machu Picchu, un immense pic qui domine entièrement le site archéologique.
Nous retournons donc sur nos pas jusqu’à l’embranchement, et un garde nous indique le chemin (…qui est fléché, mais inutile de le vexer) et nous montre sur la montagne un sentier à flanc de montagne, qui semble monter paisiblement. Nous prenons le sentier indiqué, et celui-ci se pare très vite de marches taillées dans la pierre ; aucun doute, on est au coeur du pays inca! Nous montons lentement, le soleil tapant maintenant fort et les marches ne semblant pas finir, moi quelques marches à la volée avant de m’arrêter pour souffler, Élodie plus lentement mais aussi plus régulièrement.
A chaque virage l’escalier se dote d’un petit mirador, et on ne cesse de s’émerveiller de la vue (en soufflant pour se recharger aussi), mais on s’inquiète aussi de ne pas voir ce fichu sentier qui semblait monter si lentement (et pour cause : nous ne le prendrons jamais, il fait parti d’un autre circuit beaucoup plus long, le chemin de l’Inca, quatre jours de marche depuis Ollantaytambo…). De mirador en mirador pourtant, nous progressons en altitude pour arriver au sommet, qui est une bande d’à peine deux mètres de large.
Mais quelle vue! Non seulement nous dominons entièrement la vallée, le Machu Picchu, mais nous sommes aussi très largement au dessus du Wayna Picchu (la montagne sur les photos) et nous voyons toutes les vallées adjacentes, la centrale d’Hydroelectrica, la voie ferrée vers Ollantaytambo, les majestueuses montagnes enneigées qui dépassent presque toutes les six mille mètres! La montée a été physique (ne disons pas rude) mais en valait la peine! Nous resterons un moment là haut, à observer le paysage, prendre des photos et discuter avec d’autres touristes.
La descente sera plus rapide que l’allée, mais plus vertigineuse aussi, le trajet se faisant face au vide. Si la montée dure une heure et demie, le retour, lui, se fait en une petite heure, reprenant les quelques deux mille cinq cent marches de l’aller. Arrivés en bas, frais comme des gardons (le retour est définitivement facile) nous partons pour l’exploration de la cité, plus grande qu’elle n’y parait : elle se découpe en deux zones principales, la zone agricole (avec de nombreuses terrasses à l’est) et la zone urbaine, qui elle même se subdivise en quartiers : quartier sacré pour les prières, quartier royal (palais impérial avec les appartements royaux) à gauche de la place principale (la zone herbeuse au centre des photos) et de l’autre côté quartier résidentiel, prison et quartier « industriels » sont ceux dont je me rappelle.
Ce qui est frappant, c’est la qualité de fabrication des bâtiments les temples, comme le « Temple du Soleil », sont absolument parfaits, comme si l’assemblage était… inhumain. Certaines pierres sont assemblées si finement qu’il est impossible d’y glisser une feuille aussi fine soit-elle. Incroyable quand on sait que les lieux ont (pour les pierres non restaurées) plusieurs centaines d’années et quelques séismes importants dans les pattes!
La ballade dans les ruines prendra pas mal de temps, partagés entre admiration des agencements pierreux et esquives des groupes de touristes (entre nous, si la majorité sont plus que corrects et professionnels, certains guides peu scrupuleux n’hésitent pas à prendre leurs clients pour de parfaits idiots en vendant des vessies pour des lanternes, et je prendrai un exemple que nous avons vu de nos yeux : un guide, désignant les niches pour les offrandes, dit a ses clients que ce sont de petites cellules pour permettre aux prêtres de chanter leurs cantiques isolés les uns des autres, et preuve à l’appui, met sa tête dans l’alcôve, beugle, se retourne et dit : « Vous avez vu cette acoustique? »; enfin je m’égare). Les temples recèlent encore quelques mystères toutefois, comme cette étrange pierre, « ancrage du soleil » comme à Pisac, mais pas que, on lui prête aussi des fonctions de calendrier solaire (attention : pas cadran solaire) et d’autres fonctions obscures ; cependant les scientifiques s’interrogent encore sur le fonctionnement et la fonction exacte de l’objet…
Les différentes parties de la cité sont bien séparées, et si du côté « royal et religieux » il est relativement aisé de s’y retrouver, c’est un peu plus labyrinthique de l’autre côté! Les maisons sont nombreuses et petites, avec des murs organisés de manière aléatoire, et les agencements des autres lieux sont fixés en fonction de la nature du sol : ici une roche saillante, ici une petite grotte, ici un mur bien haut car le dénivelé est important…
Nous passons un moment à déambuler entre les murs, avant de nous rendre compte que le temps presse et que nous devons retourner à l’entrée pour prendre le bus du retour et correspondre en train. Déjà! Déjà… Après un crochet par l’accueil et son coup de tampon souvenir « Machupicchu » sur le passeport, nous redescendons, fatigués, après plus de huit heures au sommet. Fatigués, mais je pense que sur le coup nous aurions facilement re-signé pour huit heures de plus!
De retour en bas, à la gare, nous nous asseyons sur notre siège, après avoir parlementé avec nos voisins : apparemment, Perurail a défait tous les couples du wagon, et nous nous réorganisons pour voyager avec nos compagnes et compagnons respectifs. Le train démarre, et le retour sera, à peu de choses près, le même cirque qu’à l’aller, mais avec des activités différentes : fini le descriptif gentillet des environs, nous passons à la vitesse au dessus : danses et costumes « traditionnels » dans un premier temps, ce qui est amusant mais bruyant (et pourtant dieu sait que nous aspirions au calme!), puis un non-moins bruyant… défilé de mode des hôtesses et stewards pour nous vendre des vêtements en laine d’alpaga (et j’en ai vu de nombreux bien meilleurs, croyez-moi!)! Du délire! Nous arriverons à Ollantaytambo lessivés, prêts à aller dormir.
Aujourd’hui, quelque semaines après cette visite, nous pensons que le Machu Picchu constituera le dernier site historique important de notre périple en Amérique du Sud, sans doute un des point d’orgue de notre séjour sur ce continent, et du voyage en général. Nous sommes heureux d’avoir vu et visité cette cité mythique, mais un peu désappointés d’en être parti si vite ; ça sera une occasion de revenir, mais alors pas de train : ça sera le trek de l’Inca!