« Adieu, Seigneur! Je vais à Bodie! » écrivait une petite fille dans son journal intime, lors du déménagement de ses parents dans cette ville.
Cette phrase deviendra célèbre aux États-Unis, symbole de la réputation de la cité, décrite comme « la ville la plus sauvage de l’Ouest sauvage (« wild west » of course) ». Qui n’avait pas entendu parler à cette époque du terrifiant « Badmen from Bodie »? Bodie, à son apogée, reflétait en tout cas l’image terrifiante des villes du Far West Américain à l’époque de la conquête de l’Ouest : cité construite en à peine deux dizaines d’années (de zéro à dix mille habitants en moins de vingt ans), avec saloons, maisons closes et fumeries d’opium à la pelle, elle a aussi pour elle un taux de meurtre hallucinant, qui monta, dit-on, jusqu’à un meurtre par jour! Mais pourquoi parler de cette « fameuse » ville ici? Tout simplement parce que nous l’avons visité, cette ville… fantôme!
Bodie tient son nom d’un certain W.S. Bodey, mineur qui aurait trouvé en 1859 une grosse quantité d’or dans sa mine (avant de mourir l’hiver suivant, c’est ballot). Il est alors avec sa famille seul sur les lieux. Mais les choses changeront vite avec l’arrivée massive de nouveaux mineurs venus d’Europe pour faire fortune, portés par cette folle rumeur disant que les terres Américaines étaient tellement riches que l’or coulait dans les rivières, et vingt ans plus tard ce sont des centaines de familles (entre sept et dix mille habitants selon les méthodes de calcul) qui se sont installés dans la ville, travaillants en solitaires dans leurs propres mines ou travaillant pour de plus grosses compagnies minières.
A cette époque on extrait pour 3,1 millions de dollars d’or. C’est l’apogée de la nouvelle cité, et une ligne de chemin de fer est en construction pour apporter de quoi alimenter et faire travailler les ouvriers, une centrale électrique est ouverte à vingt kilomètres (une première dans le pays à cette époque!), les pompiers et le shérif sont prêts à l’action (enfin, surtout le second, qui devait sans doute être remplacé souvent!), la prison et l’école sont bien en places. Il y a même un quartier chinois avec un temple maoïste, et la vie bat son plein, dans tous ses excès.
Mais, car il y a un mais, très vite les choses se dégradent : dès la fin du siècle, les mines les plus grandes (dont la Standard Consolidated Mining Company) montrent des signes d’épuisement, et les mineurs les plus entrepreneurs se décident, souvent dans la précipitation, à partir pour la ville adjacente, Aurora, où l’on a trouvé de l’argent dans des prospections, ou plus loin, vers une vie meilleure (difficile de les blâmer : en été, la température monte parfois au dessus de 40° et descend régulièrement sous les -10° en hiver, et quand on voit la structure des bâtiments…).
En 1898, puis en 1914 et 1932, trois énormes incendies consument la ville, faisant fuir les habitants encore restants. Au début des années 20, seuls cent vingt habitants sont recensés à Bodie. En 1943, ils étaient trois. Et le dernier quitta la ville à la fin des années 50. Le dernier mineur ayant officiellement travaillé dans une mine est décédé en 2009, et a demandé à être enterré dans le village de sa jeunesse, sa pierre tombale devenant l’endroit le plus neuf de la cité, et aussi l’endroit où l’histoire se termine. La ville est devenue « ville fantôme ».
Maintenant, les lieux sont devenus un parc régional au bout d’une route cahoteuse, une étrange machine à remonter dans le temps, au début du siècle dernier. Qui n’a jamais rêvé de fréquenter les rues d’une ville fantôme, laissée soudainement à l’abandon, sorte de grand terrain de jeu pour les grands enfants que nous sommes?
On parcoure ces rues poussiéreuses et désertiques en essayant de s’imaginer la vie qu’elles pouvaient contenir lorsque le village était encore animé, quels genre de personnages on aurait pu croiser… Quel étrange sentiment…
La lecture du livret acheté à l’entrée nous renseigne sur l’appartenance de chaque maison, que faisait-il, quelle était son histoire, parfois mouvementée (ici, la maison d’untel, qui a vu naître ses cinq enfants, là la maison d’untel, qui fit fortune avant de se faire abattre sur le porche de sa demeure…).
On peut apercevoir, dans beaucoup de bâtisses, les traces d’un départ précipité : mobilier encore en place, parfois même accompagné du vaisselier encore en ordre, journal posé sur la table, boites de conserves étalées sur le sol, entre les vêtements pèle-mêle et les outils de travail, clous, boulons et huile moteur, la classe avec ses livres, globes et cartes au tableau, véhicules carbonisés abandonnés dans ce qui devait être auparavant être un garage, le tout prenant, paisiblement, la poussière.
Et on se pose la question : pourquoi tout abandonner si précipitamment? On ne le saura pas. Restent seulement les fantômes du passé, demeurés ici, circulant entre les quelques cent cinquante bâtiments encore en place, laissant au voyageur de passage le sentiment d’une histoire incomplète, incomprise pour ceux qui ne l’on pas vécue. Et nous y étions.
La visite de ce parc si particulier nous a touché, car il reste une âme dans les murs de cette ville, des histoires variées transparaissent aux travers des vitres sales, des bribes d’un passé douloureux pas si lointain parfois…
On se surprend à aller regarder par les fenêtres des habitations, patiemment, pour essayer de débusquer un spectre hantant les lieux. On laisse aussi aller ses pensées et sa mélancolie pour une ville qui fut, jadis, habitée par l’espoir d’une vie meilleure et qui n’est aujourd’hui… même plus habitée.
Nous partirons de Bodie ravis de la visite, excités par la découverte d’une authentique ville fantôme, emportant sans le savoir dans la voiture un souvenir (illégalement donc, il est interdit d’emmener quoi que ce soit du parc), souvenir qui allait bientôt nous causer de petits soucis… Mais ça, vous le découvrirez bientôt!
Pendant deux heures nous avons déambulé dans les rues de Bodie, entre ces constructions délabrées, avec cette sensation étrange et pesante de pénétrer dans l’histoire de l’ouest américain…car c’est bien dans un lieu comme celui ci que reposent toutes leurs racines……
pour l’avoir vécu , j’ai une petite idée de l’objet illicite que nous avons emporté avec nous dans la voiture ….mais , chut ! je n’ en dirai pas plus pour l’instant !