L’année dernière, presque jour pour jour, j’ouvrais la fenêtre et je scrutais le ciel. C’était un dégradé de gris ou plutôt une sorte d’épais nuage froid. Je me souviens ce matin là, le ciel était si bas… Les branches d’arbres complètement dénudées telles des squelettes grelotaient et laissaient perler sur elles les quelques milliers de gouttelettes d’eau ; sans interruption, il pleuvait. Je mis rapidement fin à mon observation tellement le froid mordait mes os, je n’étais pas vraiment habituée non plus à ces températures là.
Aujourd’hui, et depuis quelques jours, je répète les mêmes gestes et en admirant ce ciel si bleu, en découvrant le fin manteau de fleurs qui recouvre déjà les arbres, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un an, nous n’avions pas été accueillis dans les meilleures conditions. Et si cela avait été autrement… ? Pas de chance. Et si ce ciel bleu d’aujourd’hui, au contraire, n’était qu’un message pour me sourire « Bonne nouvelle, l’année est finie » ? Je ferme les yeux pour écouter le chant des oiseaux.
En relisant récemment nos derniers articles – malheureusement ils se font vraiment moins nombreux depuis notre retour à la vie sédentaire – je m’aperçois qu’une introduction lancinante retentit toujours « Il y un an ». Ne voyez pas un manque d’imagination par là mais bien un signe que depuis ce 2 Mars 2013, depuis notre retour, chaque jour nous revivons sans cesse les étapes de notre aventure passée ; comme un décalage horaire qui a du mal à se régler. Que faisions-nous il y a un an à la même époque ?
11 Avril : arrivée sur l’île de Pâques
22 Juin : départ de Lima
30 Janvier : au revoir mon beau Myanmar…
28 Février : décollage de Mumbai, la fin du voyage
Le ciel était passé du bleu au gris en seulement quelques heures, entre confusion et nostalgie. Il a fallu du temps pour remettre les pendules à l’heure.
J’attendais en réalité ce jour avec impatience, ce mars 2014 où lorsque j’ouvrirais la fenêtre, l’année de notre retour sera suffisamment loin et où je pourrais répondre enfin en me réveillant à ce « Où étions-nous il y a un an ? » : « nous en sommes là aujourd’hui ». Je respire, le ciel est si bleu maintenant, comme pour faire face à cette question si angoissante hier « Et après ? ». Croyez moi, le ciel est bien plus bleu chez moi que par chez vous… C’est la force d’un si beau et long voyage : avant, pendant, après. Ma sœur me l’avait dit ! Tout est loin derrière, il n’y a plus qu’à regarder devant.
Et après ? Cette question prend un tout autre sens maintenant.
Depuis notre retour, bon nombre de personne nous ont dit que les anciennes habitudes reviendraient au galop, que nos réflexes et regards de voyageurs seraient moins prédominants à la longue. Se seraient-ils trompés en ce qui nous concerne ? Nos rêves et promesses faits dans cet avion qui nous ramenait de Mumbai n’ont fait que s’agrandir.
Je ne peux m’empêcher de sourire en regardant nos placards d’aujourd’hui. Déjà un an que nous sommes rentrés et nous avons toujours cette pile gigantesque de T-shirt et pantalons d' »avant » qui ne nous sert plus. Le déménagement en septembre dernier nous aurait presque fait pleurer : comment est-ce possible d’accumuler autant de choses inutiles dans une petite vie ? Nous avons laissé trainer presque deux semaines les cartons emballés, sans rien toucher… Cinq mois après, tout est finalement rangé mais nous n’utilisons trois fois rien. Comme en 2012, vêtements de voyage au quotidien et deux-trois T-shirt et jeans en plus pour le confort et les grandes occasions. Mes baskets noires à huit euro viennent de fêter leurs deux ans sur les routes (incroyable…) ! Quand je pense que les péruviens insistaient pour les cirer dans la rue… Qu’est-ce qu’on a rigolé avec eux ! Faut dire que mes baskets noires avaient viré au beige avec la poussière de l’Altiplano.
Il n’y a pas que nos vêtements qui n’ont pas vraiment changé. Même après six mois sur Paris, je me fais encore distancer très fortement par les passants dans la rue en marchant (sauf de rares exceptions, n’exagérons pas !). Et il me prend toujours autant l’envie de m’arrêter brusquement si l’occasion se présente afin d’admirer un beau rayon de soleil, une belle façade, un arbre bien en forme et en couleur, la Tour Eiffel ou un oiseau sautillant près de mes bouts de pieds !
J’ai une anecdote : une coupure d’eau chaude survient en plein hiver dans notre immeuble pendant deux jours entiers (oui, ça arrive même à Paris). La situation ne m’importunant pas le moins du monde, c’est tout naturellement, sans broncher, que je me suis mise à faire bouillir de l’eau afin de remplir ma bassine rouge (celle du Vietnam) afin de me laver comme nous l’avons parfois fait en Inde : une petite casserole dans la bassine en guise de pommeau pour puiser l’eau et s’arroser. La douche c’est dépassé, non ? Les réflexes reviennent vite, c’est rigolo.
Et toutes les occasions sont bonnes pour nous remémorer un pays !
Sur un ton plus sérieux, Fabien en rentrant en France à décidé de refuser des contrats dit « stables » pour devenir intermittent, chose qui le tétanisait auparavant. Aujourd’hui il se démène afin d’enchaîner contrats journaliers intéressants. Et la récompense est au rendez-vous : ce statut lui a permis de rencontrer plus de monde, de se diversifier dans ses travaux, de prendre de l’assurance et même de… devenir monteur. Je suis vraiment fière de lui, il a su affronter ses angoisses.
Quant à moi, je me suis reconvertie dans la restauration (non sans quelques idées pour l’avenir…). J’ai besoin d’un métier plus terre à terre, plus proche des gens aussi. Consciente du bagage que je rapporte de mon tour du monde grâce aux cours de cuisine pris dans chaque pays, je tente de percer dans ce milieu. Après des stages et un contrat à plein temps dans un restaurant, puis des expériences aux côtés d’auxiliaires de vie, je veux aujourd’hui monter mon entreprise. Je travaille dure depuis quatre mois et ce n’est pas toujours facile, le travail d’un salarié étant bien souvent plus valorisé dans nos sociétés, afin de construire une structure viable.
Jamais je ne l’aurais fait sans ce voyage ! L’idée était là au fond de moi mais ne sortait pas. Maintenant, il me paraît impossible de ne pas entreprendre et de reprendre ma vie comme elle était avant, pour moi et pour ma famille, mon foyer.
C’est vrai, nous sommes revenus changés, tout du moins, renforcés.
Quelques autres profondes modifications ont eu lieu aussi dans notre quotidien. En rentrant d’Inde et suite à l’Asie en général, j’avais décidé de réduire ma consommation de viande, surtout du bœuf. Une folie qu’un petit nombre ne comprenaient pas et une sorte d’envie passagère pour une autre majorité. Et bien non, chez nous, nous ne mangeons presque plus de viande depuis un an, seulement pour les grandes occasions. Alors pourquoi?
Après avoir découvert d’autres cultures de ce monde et d’autres façon d’approcher la nourriture (citons d’abord les indiens où 40% de la population est végétarienne, 80% dans l’état du Gujarat ; citons aussi le bouddhisme, suivi très majoritairement dans toute l’Asie où les moines recommandent de ne pas abattre d’animaux ; ou encore le Pérou et sa Terre mère, la Pachamama, prônant le respect de notre terre nourricière), bref, je ne comprends toujours pas pourquoi des hommes s’obstinent à surproduire – pour parfois jeter – tout en appauvrissant notre terre. Par ailleurs, on dit que le voyage favorise les rencontres humaines, mais pas seulement : nous avons ainsi eu le plaisir de rencontrer notre planète et ses merveilles. La nature est belle et cela vaut le coup de se battre pour elle, comme ce Costa Rica ayant décidé de protéger 26% de la totalité de son territoire en parc – une prise de conscience datant de seulement quelques années face à la destruction massive de la biodiversité du pays pour… de l’élevage de bovins ! Et puis surtout… lorsque votre regard croise un jour celui d’un enfant qui a faim, et je veux dire par là qui a vraiment faim, il devient alors inconcevable de manger des portions gargantuesques (ou pire ! de s’en rendre malade comme à Noël) sans avoir la moindre culpabilité. Le monde a faim, je ne peux certes pas y faire grand chose mais je veux au moins considérer sa peine (ne vous trompez pas : pas d’apitoiement de ma part, aucunement).
Et puis, pour revenir sur une note plus gaie, je raffole la cuisine indienne, celle que l’on avait sur les étals dans la rue au Rajasthan. Les indiens ont sublimé l’art de cuisiner les légumes, les céréales et les lentilles. Du poulet ou de la pomme de terre dans votre masala ? Vous ne verrez même pas la différence. Prenez pomme de terre.
Cela ne m’empêche pas de savourer régulièrement la cuisine de notre terroir français car elle sait être excellente !
Mais quand beaucoup s’inquiétaient pendant notre voyage que notre gastronomie nous manquait (oh oui pour le camembert et le chocolat), nous rions, nous, de nous savoir si heureux de manger notre bol de riz quotidien accompagné de tous ces légumes mijotés aux sauces du monde entier.
Et aujourd’hui, après un an de retour en France, notre palet est sûrement redevenu plus sensible au piment mais en aucun cas intolérant. La raison est simple : cumin, chili, gingembre, curcuma, safran, garam, etc, tous ces mots n’ont plus vraiment de secret pour moi et je les manie souvent à la maison (encore merci aux habitants rencontrés de m’avoir tant appris sur leurs cuisines).
Une dernière anecdote : il y a une semaine, en lisant la notice de mon auto cuiseur à riz, j’ai découvert qu’elle recommandait deux verres doseurs remplis pour quatre à cinq personnes… quand pour nous, la même quantité suffit tout juste à nous nourrir tous les deux. Mon air ahuri a du faire rire Fabien.
Ainsi notre foyer est devenu une sorte d’auberge multiculturelle où se croise différents regards, différents souvenirs, différentes épices et ingrédients sublimes. Du jour au lendemain, vous pourrez manger chez moi une véritable blanquette (de veau pour les jours de fête), une purée maison ou encore un velouté de cresson à la crème, suivi d’un dahl fumant, de nouilles sautées ou bien d’un tofu frit façon vietnamien. Nous pourrons nous passionner pour une région de notre pays puis songer à prendre le vent et partir pour la Scandinavie, la Russie ou le Kirghizistan.
Nous aimons ce mélange, cet ensemble un peu fouillis et totalement déréglé que font nos vies. Nous n’avons pas envie de nous arrêter et l’on espère – lorsque nous aurons des enfants – transmettre cette curiosité. Nous aimerions leur offrir une vie où tout un tas de cultures seraient juxtaposées dans un ensemble harmonieux ; vous savez, comme ces enfants qui parlent d’un coup français puis anglais, espagnol et puis pourquoi pas chinois ?
Aller… il est temps de rouvrir les yeux. Au bord de ma fenêtre, le ciel est toujours bleu. C’est le printemps. Mes projets, celui de Fabien, NOS projets aboutiront peut-être un jour ? Mais aujourd’hui le plus important est de vivre comme on l’entend dans ce mix de souvenirs, sans se préoccuper de suivre ou pas le mouvement, et de savourer le chemin qui nous mènent à nos rêves. C’est peut-être ça la clef du bonheur ? Rêver et fixer l’horizon, mais ne pas oublier que c’est le chemin qui compte.
Le retour, un an déjà !
Enfin !
Salut les nomades
On y pensait presque plus, et là subitement cet article nous replonge dans ces aventures vécues avec et sans vous perdus dans le monde…et pourtant malgré le distance si proche de nous, avec cette sensation de vous accompagner a chacune de vos découvertes. Merci encore pour ces tours du monde, car il y en eu deux, quels sont les parents qui peuvent se vanter de rêver ainsi…avec ces brins de folie qui trotte dans la famille le chemin s’ouvre devant nous, il suffit d’entretenir cet état d’esprit, de se méfier du quotidien qui vous engouffre dans un tourbillon infernal…nous sommes fier de vous tous, et a bientôt ensemble sur la route peut importe où le principal étant de partir.