« Il y a un film qui a été tourné ici, un James Bond, là, juste en bas de la rue, vous voyez, » me racontait-il, « il y avait une course poursuite en rickshaw, et puis… »
Je n’écoutais que d’une oreille, en général tous ceux qui nous abordaient le faisaient avec une raison précise, nous fournir un bien ou un service, malgré sa lourde insistance pour bien nous rappeler qu’il n’avait rien à nous vendre.
« …Tzzing, par la fenêtre, en sortant, comme ça »! Il continuait, inlassablement « … mais en fait ce n’est pas James Bond qui fait les cascades, vous savez, on le remplace par… euh… vous savez, il y a ce type là… Vous êtes français mon ami? Bah c’était un français, comme vous, un Jean ou un Julien [c’était Rémy Julienne], il prenait la place de James Bond et il passait par la fenêtre, avec le rickshaw, juste en bas, vous voyez, là bas… »
Difficile de le décoller, mon nouvel « ami » était même plutôt coriace. Nous étions en pleine visite du temple Jagdish, un temple Hindouiste, pas du tout à faire le repérage des lieux des scènes cultes d’un film que je n’avais jamais vu!
« Vous avez vu ce film… comme il s’appelle…demanda-t-il en feignant de ne plus s’en rappeler.
– Octopussy.
– Oh vous le connaissez?
– Oui, évidemment! » Difficile de ne pas savoir qu’une partie du treizième James Bond a été tournée dans la ville quand plus de la moitié des restaurants locaux le diffusent chaque soir et en font la promotion. Étonnamment, nous n’aurons jamais la chance d’assister à une projection du film le temps de notre séjour ici, mais je pensais que cette réponse suffirait à abréger la conversation. Je m’étais trompé.
» Vous savez, j’y étais, j’apparais même à l’écran! »
Pour un peu, il annonçait qu’il incarnait lui-même le méchant qui manquait de justesse d’avoir la peau de double-zéro-sept.
« Tout se déroule là, juste en bas de la rue! », insistait-il.
[Pour être précis, regardez la cascade un peu après 1’20 »]
Il devait y avoir une chose à laquelle il tenait, en bas de cette rue, comme par exemple… sa boutique? Voyant que je ne m’intéressais pas plus que ça à notre « passionnante » conversation sur ce qui semblait être le lieu de tournage le plus important de l’histoire du cinéma mondial, il changea de stratégie :
« Et, vous avez vu les lacs? »
Oh oui, nous les avions vus, dès notre arrivée. Notre hôtel avait même une vue sympathique sur l’étendue d’eau, grâce à un petit coup de pouce arrivé un peu plus tôt (et je ne parle même pas de Catherine et Claude, dans la chambre d’à côté), et le train qui nous emmenait à Udaipur, arrivant tard, nous avait contraint à aller manger dans un des dernier restaurant ouvert et à distance raisonnable (mais aux tarifs moins raisonnables), offrant une vue encore plus charmante sur la ville devant le lac, et sur ce dernier bien évidemment.
Il y a un petit quelque chose d’indéfinissable dans la zone touristique d’Udaipur, surnommée « la Venise de l’Inde » à cause de la présence de nombreux ponts, eux mêmes érigés pour traverser les nombreux lacs de la zone, pourtant aride quelques kilomètres plus loin, un petit quelque chose de plus luxueux, noble que dans les autres villes que nous avions traversées, aristocratique, peut-être.
Les courbes et formes plus poétiques des bâtiments anciens, du Monsoon Palace au fond, accroché à sa colline, aux « havelîs » pour la majorité, c’est à dire des sortes de petits palais, souvent reconvertis en hôtels et restaurants (sur le toit, « meilleure vue sur le lac » à chaque fois ou presque) tranchent avec le modernisme galopant de Jaipur, Agra ou Delhi et offrent du repos à l’oeil, tout comme les palais, nombreux, qui bordent le Pichola, le lac principal sur lequel trône le Lake Palace (ou anciennement Jag Niwas), une ancienne demeure maharaja-èsque transformée en hôtel et restaurant de luxe, isolé de tout par cette eau qui n’est présent que par l’action de la mousson et qui s’en ira, dit-on, à la saison sèche. Un peu plus loin et toujours dans le même lac, on peut observer le Jag Mandir, un autre palais isolé qui servit de résidence d’été aux maharajas.
Mais ces palais, aussi surprenants qu’ils soient, ne sont pas très grand à côté de l’immense City Palace, qui prend une place considérable dans la ville, et dont la visite, dit-on, prend la journée : dit-on car le temps et l’argent nous manqueront pour la découverte de cet immense et très belle structure (en tout cas, vue de dehors).
Nous partirons en revanche à la découverte d’un havelî assez étonnant, le Bagor Ki. Ce palais, construit à la fin du XVIIIème siècle, compte pas moins de cent trente huit pièces, réparties autour d’une succession de courettes posées anarchiquement au fil des extensions du bâtiment.
Les décorations superbes ont été complètement restaurées après que les lieux aient été partiellement abandonnés… Dommage quand on voit le potentiel incroyable de ses murs! Les pièces sont maintenant re-devenues riches de souvenirs, pour expliquer la vie des maharajas, leurs habitudes dans ces pièces, leurs petits secrets…
Les courettes magnifiques sont l’occasion de proposer des spectacles de danse auxquels nous assisterons, avec plaisir : les femmes, des plus jeunes aux plus âgées, réalisent prouesses sur prouesses en dansant en rythme et avec des difficultés insurmontables pour nous, comme une bougie sur la tête, clochettes sur les chevilles et poignets, une armée de pots au dessus d’elles… Très impressionnant!
D’autres artistes nous feront des démonstrations musicales et humoristiques avec des marionnettes que nous aurons déjà croisées avant, durant la visite des murs, que je n’ai pas encore fini de décrire. En effet, d’une salle à l’autre, on découvre les traditions locales, comme le rituel du mariage, imagé avec de grandes poupées mises en situation, les armes utilisées pour les batailles et défilés militaires, la fabrication de marionnettes, l’art du turban ou de la peinture de miniatures.
« …Je suis artiste, vous savez, moi, je ne vend pas mes oeuvres, je les expose, je peint des miniatures » continuait mon nouvel ami, « vous savez ce que c’est? » Il ne me laissait pas la chance de lui répondre et enchaina : « Ce sont des toutes petites peintures, réalisées avec seulement un cheveu, vous savez? Ils sont beaucoup à peindre avec de touts petits pinceaux, mais les vrais miniatures c’est avec un seul cheveu, comme je fais, et aussi avec des peintures et des colorants naturels, c’est ce que j’utilise, dans la ville ils sont nombreux à dire qu’ils utilisent des peintures naturelles mais c’est pas vrai, je suis un des rares, je suis un artiste, vous savez? »
Je crois que c’était la trentième fois qu’il me le disait, donc oui, maintenant je le savais. Mais des artistes, à Udaipur, ce n’est pas ce qui manquait : des peintres dans toutes les rues, dans les boutiques, dans les restaurants aussi (on nous proposa après un repas d’aller dans l’arrière boutique pour admirer les oeuvres du frère du restaurateur, y’a pas de petit profit…) et de toutes sortes, peintres, sculpteurs sur bois ou pierre… tailleur de costumes aussi, mon papa et moi en profiterons pour garnir nos armoires en vêtements sur-mesures à peu de frais, tandis que ces dames feront l’acquisition de tissus aux couleurs exotiques et chamarrées dans quelques unes des très nombreuses boutiques de sari (le tissu très long et très compliqué à enfiler que la majorité des Indiennes portent) qui composent le quartier, garnies de toutes sortes de pièces, faites main ou non, mais souvent présentées par des vendeurs acharnés, mais au sourire difficile à obtenir.
Après de nombreuses dépenses, pourquoi ne pas aller se restaurer? Il est en effet difficile de ne pas passer devant un des innombrables restaurants du centre touristique, et la nourriture indienne est véritablement un régal!
Légumineux variés (choux-fleur, pois-chiche, poireaux, pommes de terre et tant d’autres), sauces masala et plus, divines, fromage pour les protéines, « roti », « chapatis » et « nan », autant de pains fantastiques mettent ensemble les papilles en émoi, tant qu’Élodie prendra, pendant des heures, des cours de cuisine chez Shashi, pour apprendre à refaire les plats que nous avons préféré lorsque nous serions de retour en occident…
« la semaine prochaine je vais à Paris, pour exposer avec des amis au Village Suisse, vous connaissez?
– Bien sûr, je connais très très bien, j’ai vécu devant pendant cinq ans! Dans quelle galerie exposez-vous? »
Ma réponse sembla l’embêter, pendant quelques secondes en tout cas. Elle me rappelait également que d’ici quelques temps, ce village suisse j’aurais l’opportunité de le revoir, déjà. Il est difficile de croire que nous avions traversé le monde, que déjà un an me séparait du dernier jour où nous avions travaillé, Élodie et moi, à Paris, à quelques minutes de marche de ce quartier des artistes. De plus en plus fréquemment, je me demandais où nous allons, dans quoi on s’était engagé, quelle était cette folie douce qui nous avait entrainé sur les routes du monde. Je me pose cette question, et aucune réponse sensée ne me venait, si ce n’est l’envie, tout simplement. Mais pour l’heure, je voulais profiter de ce qui nous restait, et donc de ces jours en Inde, à ce moment précis, et ceux qui suivaient.
Le lendemain, nous avions prévu d’aller marcher dans la campagne avec un guide, et si initialement nous souhaitions être seuls, visiblement nous n’avions pas été entendus : nous serons un groupe de dix, nous quatre, deux françaises venues pour faire du bénévolat en Inde et en profitant pour découvrir le pays, ainsi que deux autres couples, un Allemand et un Chinois Hong-Kongais. C’était la première fois que nous nous retrouvions véritablement « en campagne » en Inde, que nous quittions les secteurs urbains pour aller dans les champs.
Assez vite, nous faisions le constat que les cultures du Rajasthan étaient assez proche de ce que l’on trouve dans les champs français, du blé, des choux, des salades, des pommes, du maïs… Point de riz ou de mangue ici, rien de bien exotique dans cette région! Mais l’aspect vraiment intéressant de cette ballade fut la rencontre avec les locaux, beaucoup plus facile et souriants qu’en ville. J’aurai d’ailleurs l’occasion de faire des portraits, ce qui est plutôt rare. Nous passerons une bonne journée!
Nous nous promènerons aussi près du lac Fateh Sagar, un autre lac de mousson situé un peu au nord dans la ville, qui lui aussi à son temple construit sur les flots (enfin, façon de parler), le jardin de Nehru, disons donc un « jardin flottant », que nous ne visiterons pas (non plus), préférant nous rendre au Saheliyon ki Badi, un jardin sur la terre ferme construit pour le plaisir par la maharana Bhopal Singh, avec ses très nombreuses fontaines « qui se contrôlent en tapant simplement trois fois fort dans les mains » – il s’avérera que ce sera « simplement un piège à touristes » car les fontaines changent régulièrement de débit – ses grands bassins arrosés par des jets d’eau ou des éléphants de pierre, ses grandes allées bordées de fleurs pas exotiques non plus (on retrouve les mêmes sous nos latitudes) et ses pelouses où il fait bon faire une sieste, protégés par les sculptures d’animaux sauvages et de grands arbres peints à la base (comme les chinois, on n’est pas sûrs de savoir d’où leur vient cette obsession de peindre les feuillus)…
« … Notre Dame, la tour Eiffel… » continuait l’artiste. J’avais maintenant droit à une visite guidée de Paris, ce qui pour le moment ne m’intéressait que moyennement. « Mais il n’y a pas de temple hindouistes à Paris, si?
– Je ne sais pas… » était bien la seule réponse qui me venait. Puis soudain il changea de sujet pour en revenir au lieu où nous étions, tendant son bras vers le mur :
« Regardez attentivement les frises ici, vous verrez qu’il y a quelques représentation du kama-sutra, vous connaissez mon ami? Elles sont cachées un peu partout, et il y a des touristes qui passent des heures à les rechercher! »
Moi, comme le reste de la famille, je voulais simplement admirer le temple Jagdish, au centre de la ville, sur une colline et inmanquable en circulant. Il fallait bien reconnaitre que le temple était particulièrement bien travaillé, tout en hauteur, reprenant la forme du mont Meru, la montagne sacrée des Hindous et quand nous assisterons, à l’intérieur, à un office religieux, nous aurons l’occasion de nous poser bien plus de questions qu’avant d’y aller…
En ressortant, l’homme nous invita, évidemment :
« Venez voir ma galerie d’art, j’expose de très belles oeuvres, elle est juste en bas! Vous voyez, là où c’est écrit « école de peinture », c’est la seule vraie école de peinture! », invitation que je déclinai, plusieurs fois. La seule école de peinture, la bonne blague!
« Mais, au fait, mon ami, quel est ton nom? »
Et moi, dans un trait d’humour qui ne sera pas compris par l’homme :
« Bond. James Bond. »
Je peux confirmer qu’ Elodie est une reine en cuisine, elle confectionne à merveilles des bons « petits » plats indiens délicieux, je dirais plutôt gargantuesques ! Elle a ravi nos papilles ! Un grand merci à son professeur !
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