Il fait encore nuit, le réveil sonne avec une douce musique (Fabien l’a choisi la plus agréable possible la veille) mais la sonnerie n’arrive pas à me sortir du lit. Nous avons très peu de temps devant nous et les valises sont déjà prêtes. Je n’ai presque pas fermé l’oeil de la nuit.
Nous rejoignons notre hôtesse pascuane, Tita, avec une lampe de poche pour traverser son joli jardin. Elle n’est pas plus réveillée que nous. Il est six heure du matin. Petit crochet par une boite aux lettres pour une carte en retard. Dix minutes de voitures avec Tita affreusement courtes, c’est paradoxal, en arrivant, elles me semblaient interminables. Notre hôte nous raconte sa journée, elle a mis un filet à la mer cette nuit et à six heure trente du matin, elle va aller le récupérer.
Huit heure du matin, il fait toujours nuit sur Rapa Nui (« l’île de Pâques » en pascuan). L’avion avance jusqu’au bout-bout de la piste d’atterrissage qui fait la longueur de l’île ; on peut voir l’océan Pacifique des deux côtés. Au loin, la lumière du soleil commence à luire, nous apercevons les formes des nombreux cratères volcaniques. Il règne un air nostalgique dans l’avion.
L’aéroplaneur décolle, nous avons quitté le sol de Rapa Nui. Nous fixons à travers le hublot les contours de cette terre jusqu’à ne plus rien voir. Je n’en perdrais pas une miette. Mais c’est trop rapide, l’île est si petite. Laisse moi regarder encore un peu Fabien… non, c’est fini, je ne vois plus rien.
A cet instant, même s’il ne l’avouera pas, Fabien a les larmes qui lui coulent sur les joues et moi aussi.
En préparant ce tour du monde, je ne m’attendais pas à grand chose de l’île de Pâques, contrairement à Fabien qui en avait son joker, un de ses plus grands rêves. L’effet bluffant fut d’autant plus énorme pour moi après la découverte de ce bout de terre – on peut parler de découverte oui ! Ma première rencontre avec un moai fut indescriptible et inoubliable. La surprise et l’émotion furent si fortes (encore une fois, je ne m’y attendais tellement pas) que mes jambes s’arrêtent net ! Le moai est là, il me fixe, c’est étrange. Je ne peux plus détourner mon regard, ça y’est le charme a opéré… Ce séjour à Rapa Nui promet d’être unique en son genre. Il faut croire qu’il le fut car au décollage de l’avion, c’est le coeur presque brisé que nous abandonnons l’île. Cette sensation est assez troublante.
Je laisse la parole à Fabien, qui en avait rêvé des nuits entières, pour vous compter notre histoire sur l’île de Pâques en compagnie de Lionel et Tita, nos hôtes, en compagnie d’une famille et amis proches « temporaires » (le voyage est ainsi, n’y voyez rien de négatif) et bien sûr de quelques centaines de moais ! Récit d’une semaine sur une île aussi somptueuse que mystérieuse.
***
On dit que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Sur cette île, il n’y a pas de vainqueur, et pas plus d’histoire, si ce n’est celle très partiellement reconstituée par les scientifiques. Des statues reconstituées pour toute mémoire (ou presque). Que s’est-il passé sur cette îlot isolé, aux antipodes de nos latitudes? Des questions que me travaillaient depuis des années. Alors, pourquoi ne pas aller voir directement sur place? Dans l’avion qui nous emmène de Santiago à Rapa Nui (un vol intérieur au Chili de quatre heure trente tout de même, c’est assez étrange)je sens une pointe une grande excitation : qu’allons nous découvrir? Ces lieux, avant d’envisager ce voyage autour du monde, me paraissaient être inaccessibles, et sont maintenant à portée de main (ou d’ailes en tout cas). Je scrute l’écran de contrôle fourni aux voyageurs. L’avion s’approche dangereusement d’une île triangulaire à peine plus grande que lui (… sur l’écran, n’est-ce pas, pas en vrai). La vitesse décélère, la distance diminue, mon rythme cardiaque, lui, accélère. Lors du virage de l’appareil, je « la voie », et nous nous disons qu’elle est quand même plus grande que dans notre imagination : 165 kilomètres carrés, et trois points culminants, correspondants aux volcans maintenant inactifs ayant formé l’île entre -3 000 000 d’années et -11 000 ans. La piste d’atterrissage est paradoxalement immense, elle sert de piste d’urgence pour les navettes spatiales américaines (tant qu’il y en a en vol). Les roues se posent sur le sol, l’avion s’arrête et les passagers applaudissent (ce qui a le don de m’agacer, est-ce que vous applaudissez quand un serveur au restaurant vous apporte ce que vous avez commandé sans le renverser ?). A l’ouverture des portes, je suis le premier dehors (nous étions à l’arrière, et les portes arrières ont été ouvertes…), et reçois en récompense une bouffée de chaleur de l’extérieur.
L’île de Pâques.
Sitôt les bagages dans la chambre, direction la côte, il est déjà dix-huit heure et nous devons être de retour à dix-neuf heure trente, pour le repas avec les autres convives. Après quelques minutes de descente un peu aléatoires (nous allons vers la côte, oui, mais où, ça nous n’en sommes pas sûrs…), c’est le choc : cinq moais (ou ce qui en reste) nous observent.
L’instant chiant science : Un moai est une statue spécifique à l’île, sculptée entre le XI et le XVII ème siècle environ, de grande taille (entre 1,5 (rare) et 4 mètres en moyenne, environ 20 à 30 tonnes) qui, d’après les connaissances actuelles, représenteraient les ancêtres des sculpteurs, devenues des demi-divinitées après leur mort et protégeant le village, ses habitants, cultures et élevages à l’aide de leur « mana » (une sorte de magie, d’aura puissante). Ces statues sont installées sur des ahu, des talus créés pour ériger les statues et permettre d’enfouir les corps des illustres défunts, augmentant au fil des générations. (fin de l’instant science, mais rassurez-vous, il y en aura d’autres!) Nous restons là, sans oser bouger, à quelques mètres des statues : elles nous fascinent, et on ne peut pas s’en approcher pour deux raisons, la première, scientifique, étant qu’il faut les conserver en état et donc pas les toucher, la seconde, spirituelle, étant que les ahu, encadrant au sol les statues, sont toujours considérées comme sacrées et ne doivent pas être foulées.. Nous voici donc devant ces mastodontes centenaires nous observant, l’océan qui commence à s’agiter derrière, et les nuages donnât une teinte variant du gris à l’orange dans ce ciel tourmenté de fin de journée.
Le temps passe à une allure folle sans que nous ne réalisions pourquoi, et il est déjà temps de prendre le chemin du retour. Six moais vus en deux heure trente. Sur plus de neuf cent recensés. Le repas sera l’occasion de rencontre notre « famille d’une semaine », et accessoirement de peaufiner notre programme de la semaine.
Le lendemain, rendez-vous est donné à 10 heures pour découvrir deux sites majeurs dans la découverte de l’île : Vinapu et le village cérémonial d’Orongo.
Le premier, Vinapu, se situe dans un champ aux herbes hautes, tirant vers le jaune et battu par les vents, et est constitué de deux Ahu avec moais abattus bâtis sur au moins huit générations, avec des phases d’abandon puis de reprise du site quelques générations plus tard. Mais ce n’est sans doute pas ce qui frappe le plus sur le site : un oeil avisé (c’est à dire pas nous) aura vite remarqué que le mur arrière de cet ahu présente des similarités stupéfiantes avec les constructions les plus avancées de l’empire Inca, en particulier la découpe des pierres très précise et des angles biseautés qu’on ne retrouve que dans les constructions les plus évoluées du peuple ayant vécu sur le continent sud Américain. Pourtant, il n’est pas fait mention dans la tradition d’une arrivée depuis le continent (enfin pas vraiment, on parle d' »oreilles courtes » et d' »oreilles longues » parfois), mais bien depuis les îles occidentales de Polynésie , dont Rapa Nui constitue le point le plus éloigné à l’est (les autres extrêmes de la Polynésie étant la Nouvelle-Zélande à l’ouest et Hawaï au nord) et dont une partie des traditions a été « importée » avec ses habitants ; nous faisons face à un premier mystère : qui a pu construire ce mur, sachant que les techniques employées n’étaient connues que par les élites des Incas? Nous n’aurons pas la réponse, mais des débats enflammés entre Lionel (notre guide et hôte) qui vit sur l’île depuis dix-huit ans, et Christian, guide belge installé au Pérou depuis trente ans, visitant Rapa Nui avec nous…
Le second lieu est le village cérémonial d’Orongo, situé en haut du volcan Rano Kau, sur le rebord du cratère, à l’extrême sud de l’île. Le village, datant du XVII ème siècle environ, a été bâti pour répondre à un nouveau culte, apparu lors du déclin des matières premières sur l’île (ravagées par l’homme pour créer leurs habitats, pêcher, mais aussi transporter les moais ou faire la guerre) : celui de « l’homme-oiseau » : un membre de chaque clan ( on estime à onze le nombre de clans répartis sur l’île à ce moment là) était choisi pour ses performances physiques par son chef de clan. Vers le retour du printemps, les sportifs élus devaient aller sur l’îlot de Moto Nui, à quelques dizaines de mètres de la côte, y monter et attendre qu’un oiseau vienne y pondre. Au moment venu, il devait se saisir de l’oeuf et aller crier le nom de son clan en direction des habitants et des chefs. Le chef de son clan devenait alors responsable de la bonne gestion des vivres : définir le début de la semence et les moissons, quand et où aller pêcher, quelle tribu recevait quelle quantité de nourriture… Le village, partiellement reconstitué, nous montre des maisons de pierres très basses, à la forme de bateaux renversés, aux entrées de moins de un mètre carré, face à la mer : c’est là que vivaient les sportifs, les prêtres et les chefs en attendant le jour déclaré du retour du printemps. L’endroit est emprunt d’une sorte de magie : du haut ce lieu de culte, on croirait encore ressentir la force et l’énergie déployée chaque année par les habitants, la force de leurs croyances, l’intensité des moments passés ; le cratère, parfaitement rond, contient une sorte de lagon hérissé de roseaux, est séparé de l’océan par les bords réguliers du cratère, sauf en un seul point qui constitue une brèche (élevée, rien n’entre ou ne sort) vers la mer. Les pierres du village sont gravées de centaines de représentations de « l’homme-oiseau », mais aussi du dieu Maké Maké, le créateur de la vie. Ces gravures en haut relief appuient sur cette ambiance mystique, et on ressort comme en transe.
Je vais vous épargner le récapitulatif exhaustif de nos activités quotidiennes (oui, même sur un caillou dans le Pacifique nous faisons la lessive et les courses, nous prévoyons la suite et entretenons de la correspondance!) mais nos journées sont bien occupées : marches à travers l’île (nous nous sommes perdus), sur la côte (nous nous sommes perdus), dans le village (nous nous sommes perdus non, non, pas cette fois) et nous découvrons les lieux d’histoire : la carrière dont toutes les coiffes des statues sont issues (un cratère de volcan aux tonalités rouges à cause du souffre), la plage d’Anakena tout au nord dont on dit qu’elle a été le lieu d’arrivée des premiers hommes sur l’île, et qui est vraiment une superbe plage soit dit en passant, mais également Te Pito Kura, « le nombril de l’univers » ou tout du moins « le nombril de l’île », le point qui, dit-on, est le centre énergétique des lieux (je ne l’ai pas franchement ressentie). Durant tous nos déplacements nous sommes frappés par la pauvreté de arbres de l’île, une sorte de désolation, qui s’explique par sa tragique histoire, vous le verrez plus tard… Cependant, plusieurs sites ont plus attirés nos yeux d’étrangers dans les différents endroits ou nous avons été…
Tongariki par exemple : comment ne pas rester coi devant cette armée de statues colossales (quinze au total) fixant vers le centre des terres, comme tous les moais, si massifs côte à côte, tel une ligne de front avançant? Ma mâchoire s’en décrocherait presque, et je reste pantois devant ce qui semble être un extraordinaire déploiement de forces humaines pour déplacer toute cette pierre depuis le centre de l’île : on peut se demander pourquoi, mais encore une fois aucune explication n’est fournie, non pas parce qu’on ne nous les donne pas mais surtout parce que personne n’est en mesure de nous les fournir : à partir du XVII ème siècle, les habitants sont en surnombres et des guerres entre clans sont déclenchées, la faute à des famines et à la perte de certains repères ; pendant longtemps prospères et protégés par les moais, les habitants ont pillé les ressources naturelles, provoquant une disparition rapide de la majorité des arbres sur l’îlot, accompagné par, a priori, quelques catastrophes naturelles : accusant les tribus voisines de tous leurs maux, les guerres civiles démarrèrent. Pour vaincre leurs adversaires, ils devaient bien sûr les affronter, mais aussi les affaiblir en jetant à terre les statues des ancêtres les protégeants (tout du moins, c’est une des versions qui expliquent la chutes des colosses de pierre). Des guerres donc fratricides, accompagnés ultérieurement de la déportation de presque tous les habitants (nobles et prêtres, ayant les connaissances séculaires, y compris) dans des mines péruviennes auront eu raison de la mémoire de l’île. Tongariki aura été, comme tous les moais debout de Rapa Nui, reconstitué entre les années 50 et 90 par des archéologues en quête de vérité tant sur la fabrication que sur le mode de transport des statues. Par deux fois nous reviendrons devant cette alignement si spectaculaire et par deux fois j’aurai le même frisson, de respect et de terreur, face à eux.
Le dernier site dont je souhaitais parler est le volcan Rano Raraku, « la carrière » des moais : toutes les sculptures sans exception ont été taillées dans ou autour du cratère de ce volcan, dans une pierre tendre (mélange de cendres volcaniques compressées et de basalte), puis trainées par des hommes jusqu’à leur destination, parfois plusieurs kilomètres plus loin (jusqu’à douze kilomètres!) malgré leur taille parfois démesurée et leur poids en conséquence… Déjà, avant d’arriver, nous nous questionnions : des moais renversés semblent avoir été abandonnés tout le long du trajet entre la côte et le volcan, et en arrivant… quelle claque! Je n’ai pas pu m’empêcher de lâcher un juron en arrivant sur la colline : des dizaines de statues semblent avoir été abandonnées ici, dans un état d’avancement variable, comme si les ouvriers avaient soudainement abandonné leur travail pour ne plus jamais y revenir. Le site est absolument fantastique et vaudrait à lui tout seul le déplacement depuis le continent (enfin c’est mon avis). De nouveau, et comme lors de l’atterrissage et lors de notre première rencontre avec un moai, j’ai le coeur qui bat trop vite pour sa moyenne habituelle. Partout où le regard se pose, des statues, même à flanc de roc, même au raz du sol. Entourés. et subjugués. Nous passerons des heures ici, dans un endroit qui pourtant ne doit pas faire plus de cent-cinquante mètres de long.
J’aurais souhaité que ce moment ne s’arrête jamais. Quand j’étais petit, il y avait dans le jardin d’une de mes grand-mères une sculpture boisée qui servait de tuteur à un arbuste, ou bien le contraire (l’arbre, dans ma mémoire, n’a jamais grandi), de type polynésien, noir et usé par la pluie et le froid, climat si différent de celui qui l’avait vu naitre. Mais sur mon trotteur (et sur mes jambes, aussi) il me faisait peur et je ne m’en approchais jamais, bien que je ne l’ai jamais dit à personne. Je croyais qu’il me regardait. J’étais sûr qu’il me regardait, et je ne voulais pas m’en approcher. Ces statues me faisaient le même effet. Ces images de statues géantes et énigmatiques, ces creux pour des yeux qu’on ne verra jamais mais qui pourtant nous transpercent en un instant, ces moues sur les visages qui sont tant de marques visant à nous mettre au respect… Terreur et respect, surtout que si petit je dominais la boiserie, là c’était loin d’être le cas! J’aurais souhaité que l’avion ne re-décolle pas déjà le lendemain… Rapa Nui a changé notre voyage, nous a changé, sans que je puisse définir en quoi. Peut-être que ces statues nous ont transféré du Mana, de la sagesse ou que sais-je encore? J’aurais souhaité que ce séjour sur se prolonge… encore un peu…
Wahou, vous nous faites rêver! C’est une destination à laquelle je n’avais jamais pensé mais en lisant l’article et en voyant les photos…
Bises à vous 2 et bonne continuation
Inoui! tellement secret! impénétrable! ton voeux, ton joker était le bon!
le rève se poursuit et bientôt avec vous
Bisous des nomades dans le jura…bisous des Chonavey qui sont sur un autre ordi pour vous suivre…..
[…] spécialité, au grand désespoir d’Élodie, partout ou nous allons je peux nous perdre… même sur l’île de Pâques! Après quelques heures d’une route sans encombres, nous nous posons à Alajuela, une petite […]
[…] difficile. J’ai répondu par tout un tas de choses : le glacier Perito Moreno en Patagonie, l’île de Pâques, le Sud Lipez en Bolivie, la rencontre avec les tortues à Tortuguero. Ces moments sont magiques […]