On s’était levé tôt ce matin là pour arriver à cet embranchement, tout ça pour rien. Levés à six heure trente, petit déjeuner à sept heure tapantes, bouclage et vérification des sacs, direction le centre de Nyaug Shwe, à la recherche des pick-up pour Taunggyi. Le plan, imprécis, nous fait tourner un peu en rond dans le nombre pourtant restreint de rues de la ville puis, alors qu’on s’approche d’un véhicule ressemblant à l’objet de notre recherche on nous fait clairement comprendre que non, c’est un peu plus loin. En effet, la rue d’après, un papi nous harponne et nous entraine jusqu’au dit pick-up, en nous parlant dans la limite de son anglais – et nous comprenons dans la limite de son accent. Puis comme d’habitude on attend que les places se remplissent, sauf qu’elles ne se remplissent pas. Une, deux, cinq, dix minutes passent et pas un rat. Il va être dix heure, notre bus passe à midi et demie au croisement à quelques kilomètres de la, je regarde ma montre sans arrêt comme pour ralentir le temps, en vain.
Le papi nous dévisage depuis tout ce temps, et on sent qu’il a bien envie de parler un peu plus, en essayant de nous poser de nombreuses questions sur notre provenance et les visites dans son pays (et en particulier, pourquoi nous avons besoin d’aller à ce croisement)… Il a aussi bien compris qu’on souhaitait (enfin, moi pour être exact) partir vers notre destination (nous ne savions pas alors si le bus passait à onze heure trente ou midi trente), alors il appela un interprète – comprenez n’importe qui dans la rue sachant aligner trois mots d’anglais) pour nous proposer d’ajouter un ou deux billets à la facture pour partir plus vite, ce qu’on acceptera car la somme correspond à peu près à celle pour un taxi. Après vingt minutes de transport au frais (oui, le matin il fait frais, en particulier dans la remorque d’un quatre-quatre) à travers les rizières, nous voici enfin au fameux croisement, avec deux heures d’avance – en théorie.
On s’installe à la table d’une maison de thé trainant là, sous le regard médusé des locaux, commandons un thé citron et nous nous occupons en jouant aux cartes et en écrivant dans nos cahiers respectifs, avant d’aller au supposé arrêt de bus. Les gens s’intriguent, encore une fois, de voir deux étrangers attendre, alors les commerçants viennent nous demander si tout a bien, où nous nous rendons, et tant d’autres choses encore. Il est midi et demie, et on a déjà un peu faim, alors nous ouvrons la boite de gâteaux, et les chips – le tout trop gras, trop sucé, trop salé – et je m’impatiente, en me levant et m’orientant vers la route pour apercevoir si au loin je ne découvrirai pas un bus, mais « je ne vois que le soleil qui rougeoie et que le ciel qui bleuoie ». La commerçante d’à côté, qui nous a adopté, me fais comprendre qu’elle nous avertira quand le bus arrivera.
Treize heure. Pas de bus.
Treize heure trente. Pas de bus, et il fait chaud.
Quatorze heure. Pas de bus, il fait chaud, et le temps est long. La commerçante s’absente, et nous confie à son voisin qui essaye de nous escroquer de cinq mille kyats, soit le double du prix annoncé par les autres locaux.
Quatorze heure quinze. Il fait chaud, le temps est long et la commerçante revient. Pas comme le bus.
Quatorze heure trente. Pas de bus, il fait chaud, le temps est long et je me demande si un bus finira par s’arrêter.
Et il arrive, enfin. Bondé, mais là. On s’en fiche et on grimpe à l’intérieur, péniblement d’ailleurs. Deux femmes, sur les premiers sièges se tassent gentiment pour laisser un espace assis à Élodie et moi, je prends le parti de rester debout (expression gentille pour dire que le transport est si rempli qu’il n’y a par terre même pas assez de place pour mes fesses)! Et c’est parti pour trois heures de routes défoncées et sinueuses. Notre direction : Pindaya. Sur la voie, on croise de tout : piétons, voitures, camions, boeufs, ânes, moutons, et la route diminue avec le temps (mais pas les virages, et de ce fait je me suis essentiellement concentré sur ma position pour ne pas tomber, je ne pourrai pas vraiment faire la description des décors environnants), route se transformant sur la fin en chemin de campagne, au fur et à mesure que le transport en commun se déleste de passagers. Vient enfin le moment où une place se libère pour moi, près d’un jeune homme visiblement, encore une fois, intrigué de voir deux touristes ici : « You are wharmly welcome in Pindaya, where we take care of tourists » fut sa première phrase. (littéralement : « Vous êtes chaleureusement les bienvenus à Pindaya, ici nous prenons soin des touristes »).
Ça surprend.
Surtout quand on sait que ces consignes sont indiquées à l’entrée de chaque ville et village, comme Pindaya, toute petite bourgade paisible au nord de Nyaung Shwe, qui abrite un « temple », l’objet de notre visite… Mais revenons à la ville. Construite autour d’un lac sans doute artificiel, elle est un havre de paix : les enfants vont à l’école (ou au monastère) en vélo, les hommes aux champs, les femmes à la lessive – ça peut paraitre réducteur mais c’est ce que nous avons constaté là bas – Peu d’hôtels, encore moins de restaurants, c’est une garantie de trouver peu de touristes, et nous le sentirons une fois de plus car passé la surprise de nous voir déambuler dans de petites rues, nombreux sont les gens qui nous saluent, même ce grand-père qui descendra de son vélo pour discuter un peu, dans un anglais plutôt bon! Après avoir fait le tour du plans d’eau et observé les activités locales, que faire? Aller au temple Shwe U Min, bien sûr, plus connu sous le nom de « Grotte aux huit mille bouddha »!
C’est parti pour une ascension épique jusqu’à l’entrée de la grotte, après s’être fait déposer aux pieds des escaliers par une calèche – quoi de mieux pour commencer une journée? Une fois en haut, après avoir admiré la superbe vue sur les environs et s’être délesté de quelques dollars très, très propres (je vérifie toujours les tâches jaunes maintenant) nous entrons dans la cave…
Et quelle surprise! Des sculptures devant, sur les côtés, en dessous, au dessus, même dans les murs là-haut, dans des cavités cachées… Incroyable! Et puis on se déplace dans ce décor irréel, allant jusqu’à nous perdre entre les statues! Au fur et à mesure que l’on s’enfonce, la température monte ainsi que l’humidité… mais s’appauvrissent en Bouddha! La « grotte au huit mille Bouddha », qui en contient au moins douze mille de nos jours, a donc encore un bon potentiel pour placer de nouvelles oeuvres, et le jour où elles atteindront le niveau de la première salle (et ça arrivera car des dizaines de statues sont offertes chaque année par des visiteurs du monde entier) le spectacle et la dévotion seront époustouflants!
Et bien sûr, pour conclure au mieux cette visite, quoi de mieux que de rechercher un Bouddha assis de douze mètre de haut (trouvé) et un Bouddha couché de la même taille (pas trouvé)?
En descendant par des chemins de traverse, on entend de la musique… Qu’est-ce donc? Nous découvrirons une parade qui emmène de jeunes enfants, encensés par tous, pour devenir moines le temps d’une saison, et toutes les personnes alentour accourent, même les ouvriers du chantier d’à côté viennent voir le spectacle avant de retourner à leurs occupations… Quel étrange pays où le moindre évènement devient prétexte à une fête! Les enfants à l’honneur sont superbement vêtus, de même que leurs familles, il y a même un orchestre au début et à la fin du cortège, jouant énergiquement avec entrain des musiques traditionnelles (enfin, je crois)…
Retour à Nyaung Shwe, tôt le lendemain matin, le seul bus allant dans cette direction partant vers six heure du matin de Pindaya.
Je réalise qu’au final, nous n’avons même pas parlé de cette bourgade de pêcheurs, sympathique endroit qui, malgré l’envahissement progressif des touristes, toujours plus nombreux, conserve son âme de village avec son marché qui n’offre rien d’intéressant pour le voyageur trop pressé, mais pour ceux qui veulent découvrir la vie quotidienne il est plein de promesses, avec ses vendeuses de fruits et légumes, objets utilitaires du quotidien (couteaux, vaissellerie, etc.) ainsi que produits cosmétiques, des plus « communs » pour nous comme le shampooing (qui est tout de même un luxe dans ces régions où il se vend uniquement sous formes d’échantillons, les mêmes qui seront offerts dans les hôtels ou les magazines féminins) ou le savon, aux plus inédits comme le Thanaka, le produit que beaucoup d’habitants, essentiellement les femmes (mais pas que) portent sur le visage : il s’agit d’une branche d’arbre qui, humidifiée et frottée contre une pierre (le kyauk pyin) produit une forte de pâte blanche-jaunâtre à s’étaler sur la peau, aux vertus innombrables parait-il : crème solaire, anti-acné, anti-mycosique, adoucissant, et maquillage…
Tout un programme qui, évidemment, enthousiasmera Élodie qui voudra se procurer le produit miracle! Par chance, une petite vieille, assise au milieu d’une allée, vend des petits rondins de bois et polémique avec une potentielle acheteuse. Nous nous approchons, et très vite d’autres femmes se joignent à nous, pour admirer la vendeuse étaler du thanaka sur la peau de la voyageuse, et (forcément) trouver que c’est magnifique, qu’elle à une peau superbe, (authentique) et que la crème sur sa peau lui va à ravir. Après tant d’éloge, Élodie craquera sur un pot rondin pour ramener à la maison et faire sensation dans ses futures soirées mondaines, créant une mode qui inondera le monde (sans doute).
Mais la ville n’a pas qu’un marché, c’est aussi plein de petits établissements locaux, des maisons de thé, des échoppes à curry, des petits restaurants, des plus touristiques avec des mamies ivres et heureuses qui dansent avec le parapluie de la petite fille, des rues vertes et espacées, ainsi que de nombreux monastères disséminés de ci de là, du côté du lac par exemple – mais bien avant, car ce dernier est presque inaccessible à pied – avec son Bouddha assis assez grand (mais quand même pas douze mètres de haut), entouré de nombreuses et superbes maisons de bambou qui constituent un quartier à part de la ville, plus champêtre, au milieu des champs gagnés sur le lac, pour cultiver des tomates.
D’autres monastères sont à recenser, dont Shwe Yaunghwe Kyaung, à un kilomètre au nord de la ville, un temple iconique avec ses fenêtres ovales et ses enfants toujours entrain d’étudier le Pali, la langue ancestrale de Bouddha, tout en bois et fourmillant de vie, enfin surtout le matin, vers quinze heure c’est franchement plus calme et beaucoup moins photogénique. Nous passerons un moment agréable à observer les étudiants travailler et réciter, sur des tons mélodiques, leurs livres! Autour du monastère se trouve un autre quartier un peu excentré et une fois de plus nous prendrons notre temps pour flâner et dire bonjour aux personnes qu’on croise, définitivement il est beaucoup plus facile et agréable d’entrer en contact avec les gens hors des villes!
Un dernier endroit aura retenu notre attention, pour d’autres motifs… Il s’agit du monastère devant notre logement à Nyaung Shwe, où, durant une semaine, il s’est déroulé… Une cérémonie de prière! Vingt quatre heure sur vingt quatre, pendant une semaine, un « marathon de chants » a été prévu dans les murs du bâtiment en face du notre… avec amplification du son! Autant dire que nous en avons bien profité, car le micro était branché de cinq heure trente à vingt deux heure chaque jour, et quand on connait l’épaisseur des murs de la maison d’hôte, construite de manière traditionnelle avec des bambous… Bonjour les dégâts! Si les chants sont parfois agréables à l’oreille, ils tireront parfois vers le cri d’un chat écorché vif quand les adolescents poussaient leurs voix… Nous passerons des nuits plus courtes mais au final ça n’est pas complètement désagréable d’avoir de la musique en continu! (en cadeau, 37 secondes à relire en boucle…)
Notre séjour dans la région d’Inlé a été très agréable, par ses découvertes, ses charmants habitants, mais aussi par cette vie véritablement marquée par les enseignements et le culte autour de Bouddha, que nous aurons vécu à 9600 Bouddha/heure de moyenne, entre temples et chants, grottes et silence pieu… Mais il nous reste encore une dernière chose à faire avant de partir, à découvrir dans le prochain épisode!